Diffusé dans Compétition #1.
Synopsis
Des adolescent.e.s rentrent en transe par la technique du rêve indien.
Texte du comité de sélection
Passage secret se raconte comme un conte dissonant et faussement naïf sur la pratique du rêve indien, faire le mur de son propre corps, sortir de l’adolescence par une fenêtre imaginaire. Le surgissement lucide d’une réalité troublée, c’est ce dont on pense que l’on se souvient. Contre toute attente le désenchantement est doux.
Un film surprenant de Brieuc Schieb qui après Brigitte, 2017 et La Tourbière, 2019 continue de décliner un certain mythe adolescent.
– R.G.
Pouvez-vous revenir sur la genèse de Passage Secret ?
La matière de départ est un ensemble de petits films pédagogiques commandés par Le Louvre dans les années 90. Ils ont été réalisés sous la forme de contes reprenant des épopées mythologiques pour mettre en valeur les collections antiques du musée. Une voix off accompagne des œuvres tirées des départements orientaux, grecs ou égyptiens. On les voit s’animer, défiler sur des paysages psychédéliques dans un mutisme effrayant. Enfant, j’ai passé des après-midis à les visionner sur cassettes chez mes grands-parents. Elles suscitaient chez moi un mélange de peur et de fascination.
J’ai profité du confinement pour numériser les bandes et chercher à m’approprier ces matériaux. Par associations d’idées, le film est devenu un parallèle entre ces images et un jeu d’hyperventilation qui s’est popularisé au début des années 2000. Les personnes qui m’entouraient au cours de ma période collège utilisaient le nom du « rêve indien ». Il fallait prendre de courtes inspirations avant de retenir son souffle, dans le but de provoquer un évanouissement, parfois des hallucinations. Des pratiques dérivées, comme le jeu du foulard, ont donné lieu à de multiples faits divers et de polémiques à propos de jeunes morts en relevant le défi.
Ce type de bizutage contemporain résonne avec le caractère archaïque des rites de passage, de la pure épreuve de « virilité ». De la même façon, les légendes dont s’inspirent les vidéos du Louvre reprennent ce schéma. Il y est toujours question d’un être qui, pour s’affranchir du cocon familial, doit accomplir un exploit héroïque. À son tour, Passage Secret décrit des voies mystérieuses à emprunter pour accéder à de nouveaux mondes. Il montre des adolescent. e. s qui jouent à perdre conscience, à disparaître de leurs corps pour devenir eux.elles-mêmes des idoles.
Quelle technique avez vous utilisé pour sa réalisation ? Et quel a été votre processus de création ?
Toutes les images du film sont des matériaux récupérés. C’est un collage entre trois types d’images. D’une part il y a ces archives du Louvre. De l’autre, ce sont majoritairement des vidéos tournées au téléphone portable par des adolescent.e.s qui les ont ensuite déchargées sur YouTube et Dailymotion lorsque ces sites de partage étaient à leurs débuts. Le pont entre ces deux registres, ce sont des brochures pédagogiques cherchant à prévenir les jeunes contre ces jeux dangereux. Des bandes dessinées dont l’imagerie médiocre énonce avec mélancolie le dépassement des parents. J’ai cherché à rendre anonyme la voix-off des contes, à effacer les noms de divinité.e.s ainsi que leurs contextes. C’était une façon de les profaner et les mettre au même niveau que toutes ces vidéos anonymes trouvées sur le web. Je me figurais une sorte d’imaginaire commun, où toutes les croyances se côtoient dans un monde syncrétique. Comme des enfants qui manipulent et confondent les cultures de différentes civilisations avec naïveté.
Comment votre film s’inscrit-il dans votre travail ? Y a-t-il une continuité ou une discontinuité par rapport à vos précédentes créations ?
Je ne sais pas encore définir mon travail, mais il y a des thématiques récurrentes. Un certain rapport primaire à l’ennui m’intéresse. Celui où on laisse son esprit être hanté par les mystères du passé, de questionnements candides sur le monde des morts ou les forces invisibles. Ce sont souvent des prétextes pour trouver des aspects fantastiques dans une matière brute, parfois documentaire, ancrée dans des réalités contemporaines. L’adolescence est loin d’être un domaine de prédilection, mais en tant qu’étape significative de construction personnelle, c’est un intermédiaire idéal pour évoquer ces sujets. Enfin je suis fasciné par l’idée de posséder un type d’images de manière exhaustive. Travailler l’archive comme l’ont fait d’autres artistes aux débuts des réseaux sociaux en épuisant des motifs de rituels propres à ce qu’on nommait le « web 2.0. ». Désormais la profusion d’images rend depuis longtemps ce genre de démarche obsolète. Mais j’essaye parfois de la réitérer en collectant des images des années 2000, comme des fossiles qui témoignent de cette époque. Derrière leurs gros pixels et leur son dégueulasse, les façons dont ces vidéos ont été filmées et postées racontent aussi bien, à froid, comment les images circulent en 2020.