Esquisse pour un portrait de Gilberte Swann

Gauthier Beaucourt

Pays
France
Année
2020
Format de projection
Numérique
Durée
6'45
Diffusé dans Compétition #2.

Synopsis

Ce n’est pas vraiment un film, plutôt un brouillon au milieu duquel a émergé une figure, celle de Gilberte Swann. Elle est belle Gilberte.

Texte du comité de sélection

Que faire lorsque à la suite d’un tournage on se retrouve avec des rushes, parfois inutilisés, sur lesquels figurent un être aimé ? Gauthier Beaucourt y répond en utilisant joyeusement ses bouts d’images, d’une façon musicale proche de l’improvisation, formant ainsi l’esquisse d’un projet imaginaire, une esquisse sans finalité. Tout en attaquant l’image au point d’effacer ses propriétés argentiques de base (les rushes sont filmés en Super 8), il tente, par des surimpressions, suppressions de couches de couleurs, et ralentis, de lorgner vers les opérations de travail effectuées en argentique à la tireuse optique, rapprochant là son étude plastique des expérimentations d’une cinéaste comme Claudine Eizykman, notamment sur le jeu des trames de couleurs et de contrastes. Tout ce travail est effectué avec parcimonie : il n’y a pas de boulimie de l’effet, l’idée est claire, l’enchaînement est musical, et les pixels dansent avec grâce.

– T.D.

FCDEP

Pourquoi une esquisse et pas un film-portrait ?

Gauthier Beaucourt

J’ai utilisé le mot esquisse mais j’aurais pu tout aussi bien dire « brouillon » sans que ça n’affecte négativement l’idée que je me fais de mon petit travail. Mais je ne pouvais pas me résoudre à le titrer simplement Portrait de Gilberte Swann pour la raison évidente que je vous ai envoyé un film qui n’est pas fini. Cela se sent assez bien je crois mais ça ne me gêne pas. Depuis j’ai remis le film sur la table de montage et je lui ai ajouté une troisième partie. Et puis ce portrait de Gilberte ne devrait être, à la fin des fins, qu’un fragment d’un film beaucoup plus long, que je titre pour le moment Le film des Heures dont la matière principale serait l’ensemble de l’œuvre de Proust : des portraits des autres personnages, des moments dont je me souviens comme le trajet en voiture, la vue de l’aéronef, les mondanités des Verdurin, le bal des têtes, l’arrivée à Balbec, etc… Tout ça c’est encore beaucoup de travail et moi je suis un peu flemmard. Mais j’aimerais quand même pouvoir finir ce grand film que j’imagine absolument protéiforme, avant mes 51 ans, âge de la mort de Marcel Proust. Je ne dis pas ça par comparaison évidemment. C’est plutôt un rendez-vous que je prends avec moi-même. Et comme j’ai 33 ans il se peut que ma Gilberte soit encore un brouillon pendant plusieurs années.

FCDEP

Comment travailles-tu concrètement les surimpressions ?

Gauthier Beaucourt

Il serait un peu ennuyeux que je décrive comment je procède techniquement, sur le logiciel de montage, pour les surimpressions. Ce que je peux vous dire, c’est que c’est beaucoup de tâtonnements. C’est un peu comme la chimie amusante de Gaston Lagaffe, je commence par des tests aléatoires et je regarde ce qu’ils donnent. Je jette beaucoup, je garde un peu et je reprends.

FCDEP

De quelle façon la littérature (en l’occurrence, l’oeuvre de Proust) vient s’imprégner dans le film ? Est-elle le point de départ ou est-elle présente durant tout le processus de fabrication ?

Gauthier Beaucourt

Alors il faut que je vous raconte comment ça a commencé. Car jamais je n’avais un jour pensé un seul instant adapter de quelque façon que ce soit la Recherche. C’était le printemps je crois et je marchais rue Monge, près du métro Censier Daubenton. Et devant moi, traversant la rue, deux jeunes filles habillées comme celles que l’ont voit sur les tableaux des impressionnistes. L’une d’elle, brune, vêtue d’une robe en dentelle blanche et d’un canotier, l’autre, rousse, une jupe de lin bleu clair, un chemisier blanc bouffant et une ombrelle. Elles faisaient vraiment très 19e siècle comme ça. Et spontanément je me suis dit : «  Oh ! Albertine…et Andrée sans doute. » Et j’ai regretté de n’avoir eu rien pour les filmer un peu. Après ça, j’ai pensé que ça pouvait être beau d’avoir dans des films auxquels je songeais, des petites irruptions des personnages proustiens. De la même façon que m’étaient apparues ces deux jeunes filles, presque documentaire. Et puis j’ai un peu oublié. C’est plus tard, dans un moment de désœuvrement, que je me suis mis à bidouiller sur ma table de montage des images en super 8, numérisées, d’un précédent film. Il y avait le visage d’une amie et un étang avec des cygnes. C’est là que Gilberte a surgi et je l’ai accueilli simplement. Et c’est encore un peu plus tard que j’ai réellement commencé à réfléchir à l’idée de ce Film des Heures qui serait une sorte d’adaptation de la Recherche. Mais je crois que c’est moins le roman lui-même que je travaille, que le souvenir que j’en ai. Du coup, je le relis peu. Juste quelques lignes comme ça, de temps en temps. Une personne qui compte beaucoup dans ma vie m’a rapporté un jour les propos de Krysztof Warlikowski, le metteur en scène polonais qui venait d’adapter au théâtre le roman de Proust. Selon lui, c’est impossible pour un français d’adapter cette œuvre. Beaucoup trop proche et monumentale. Lui qui est polonais peut le faire. Il appelait sa pièce Les Français.

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