Diffusé dans Compétition #4.
Synopsis
Une pérégrination visuelle, verbale où la frontière entre monologue intime et dialogue collectif s’efface dans l’universalité des questions d’identité.s.
Sur l’image en plan-séquence, la parole se déroule, zigzague librement, pour tantôt s’égarer, tantôt se ré-orienter. Des mots, des pensées survenant quotidiennement et spontanément au sujet de ma, notre, nos identité(s) pluriculturelles, troublées et hybrides.
Texte du comité de sélection
Comment traiter et visualiser un questionnement « identitaire » en dehors de la fiction ?
Par un dispositif d’expérimentation documentaire où le visuel est longuement cherché, approché, puis approprié. La cinéaste utilise de manière mobile et caressante un long plan séquence qui tournoie avec volupté autour de routes et de végétations servant de réceptacle différé à une réflexion sur la double identité d’une enfant et de son père venus du Maroc et qui se situent – Lea Jiqqir se pose la question à un moment de savoir si son père éprouve le même désarroi qu’elle et de la même manière –, de fait, dans une aporie identitaire : trop européens au bled et pas assez français ici ! Un équilibre se crée entre les chemins en dur et les cheminements intérieurs de la cinéaste qui transforme ce film sensible en un dialogue sans faille.
– R.B.
Pouvez-vous revenir sur la genèse de Pérégrination I ? Quelle a été l’impulsion qui vous a conduite à le faire ?
Cela fait longtemps que je fais converger mes pratiques (dessin, vidéo, musique, photographie) vers un même point : celui des questions d’identités au sens large du terme. Au fil des années, chaque strate de mes identités s’ajoute aux questionnements dans lesquels se construisent mes travaux. Lorsque j’ai entamé le travail sur Pérégrination I, cela faisait un certain temps que je n’avais pas réalisé d’œuvres « plastiques », et j’étais dans une sorte de « période off » dans mon travail de musicienne. J’ai donc ressenti un besoin viscéral de permettre une expression des questions qui me sont quotidiennes, et profondément fondamentales dans mon travail comme dans ma vie privée : celles de la généalogie, de mon identité de fille d’immigré marocain, de femme franco-marocaine vivant en France, du passé de mon père défunt et de ses troubles identitaires… Pour ne pas me perdre dans ces tourbillons identitaires, j’écris beaucoup. Ce jour-là j’ai écrit de manière tout à fait impulsive un texte qui est devenu celui du film. J’ai enregistré une première lecture en one-shot, avec ce que j’avais à la maison : un zoom de mauvaise qualité et mon téléphone portable. Le résultat était auditivement médiocre, mais après d’autres essais, aucune des prises n’avait la première intention de la première lecture du texte, dans laquelle les modifications furent improvisées durant l’enregistrement. C’est seulement quelques jours plus tard que j’ai fouillé dans mon disque dur mal organisé, et que j’ai re-visionné un certain nombre de rushs tournés la dernière fois que j’étais au Maroc. C’était mon premier voyage au Maroc sans y voir les quelques membres de ma famille qui y vivent, et avec qui les liens ont été fortement distendus et dégradés par l’histoire familiale et le temps. Ces rushs ont été tournés en plans séquences sur une longue route en lacets dans le haut-atlas. Cela faisait un bon bout de temps que je n’y avais pas mis les pieds, je savais, en tournant, que j’allais un jour utiliser ces images.
Concernant l’image, quel matériel as-tu utilisé pour filmer ? As-tu d’abord pensé à la forme du film ou au contraire as-tu écrit le texte avant ?
Comme on peut le deviner plus haut, je ne suis pas la reine du « matos », et j’aime le geste et la frustration de « l’insuffisance matérielle ». À ce moment-là, j’avais la possibilité de partir au Maroc avec un matériel bien plus performant, et, pourtant je me suis bornée à garder mon vieil appareil Canon tout léger, une paire de batteries et de bonnes cartes mémoire.
Et, comme dit également précédemment, c’est plus d’un an après la réalisation de ces images que le texte a été écrit. Je ne sais pas si c’est une bonne ou une mauvaise habitude, mais je laisse souvent la matière de côté, parfois je l’oublie, parfois je la range et je la réactive à moitié, parfois je m’en saisis parce que je sais pertinemment que c’est cela qu’il me faut, et que « ce n’est pas un hasard si je l’ai fait, et conservé ».
Combien de temps a pris l’élaboration du film dans son ensemble ?
Les images ont été tournées au fil d’une seule journée. Le texte et l’enregistrement audio m’ont pris approximativement une demie journée. Le choix du plan-séquence, l’étalonnage, la colorimétrie, et le montage son, en une ou deux journées. Je ne suis pas revenue dessus avant d’avoir à créer des sous-titres.
Pouvez-vous me dire comment ton film s’inscrit dans ton travail ? Opère-t-il une rupture ou alors une continuité avec le reste de tes créations ? Pérégrination I est-il le premier chapitre d’une série de film ?
Mon travail est très « haché » dans le temps et dans les médiums que j’utilise. Ayant désormais une activité professionnelle de musicienne, à plein temps, le travail de vidéo à partir d’archives personnelles est celui que je privilégie lorsque je suis en « repos ». Depuis mes débuts aux Beaux-Arts de Nancy, mon travail est fortement ancré dans un registre narratif et autobiographique, dans la recherche généalogique, l’anthroponymie, et dans une forme de mise en poésie des troubles de mon histoire familiale. Dans une perpétuelle évolution, notamment sur le plan « psychologique », Pérégrination I n’est qu’une fraction du processus de réappropriation de ma mémoire familiale, de mes identités, d’acceptation… Sa forme plastique lui est propre et est liée à un instant T de « ce que j’ai à raconter », « ce que j’ai besoin de raconter ». Il est donc bien dans une continuité du reste de mon travail. Là où je ne peux pas exprimer certaines choses, comme par l’illustration ou la musique, je trouve parfois un médium qui « colle » à ce besoin d’expression narrative. Là où, en revanche, il peut faire figure de rupture, c’est davantage dans la manière d’amener mon discours. Dans Pérégrination I, bien qu’il emprunte une certaine poésie, mon texte est beaucoup plus frontal dans l’intimité que dans d’autres médiums. J’ai le sentiment qu’il est reçu davantage comme un témoignage brut plutôt qu’une image suggérée. Si je l’ai titré Pérégrination I, c’est parce que, sans pour autant planifier un prochain travail vidéo Pérégrination II, je sais que ce besoin d’écrire et d’utiliser la parole est chronique, et que l’image vidéo en plan-séquence est pour moi sensiblement liée à cet élan d’expression.