Voyages dans nos Indes intérieures

Daphné Nan Le Sergent

Pays
France,Corée du Sud
Année
2019
Format de projection
Numérique
Durée
14'
Diffusé dans Compétition #5.

Synopsis

La vidéo présente le récit d’un voyage, celui des Européens faisant route vers l’Ouest pour atteindre les Indes orientales. Découvrant les Amériques, ils ignorent encore tout de ce nouveau monde et lui donnent le nom d’« Indes occidentales». Ses habitants seront donc les indiens. La bande son de la vidéo fait intervenir une chanteuse qui reprend en tamoul (Inde du Sud) un air amérindien (chant kali’na, amérindiens de la Guyane et du Suriname). Peu à peu le récit se transforme, le voyage n’est pas tant celui qui se fait d’Est en Ouest mais celui d’une quête.

Texte du comité de sélection

Est/Ouest, voyage géographique/voyage intérieur, Orient/Occident : les films et vidéos de Daphné Le Sergent mettent en rapport, court-circuitent, les données mentales, culturelles issues de divers horizons pour les faire dialoguer. Guidée par une interrogation qu’elle s’est posée il y a quelques années, à savoir comment des artistes « ni européens, ni nord-américains, et ne {les formes expérimentale} les ayant donc pas intégrées  comme le lent précipité d’une évolution sociale, économique et politique  » les utilisent-iles ? Voyages dans nos Indes intérieures y répond de manière brechtienne, un peu distanciée, sur le mode musical de l‘Opéra de Quat’sous. Des chants tamouls se mêlent à des plans graphiques en noir et blanc très sophistiqués. Mais le conte se fissure en éclaboussures colorées lorsqu’on voit des mains malaxer la terre, le matériau. Les clés ne sont pas utiles tant le voyage est « tourneboulant ».

– R.B.

FCDEP

Comment avez-pouvez pensé Voyages dans nos Indes Intérieures ? Et quel a été votre processus de création ?

Daphné Nan le Sergent

Ce travail vidéo a été réalisé dans le cadre de deux résidences au CARMA à Mana (Guyane française) en 2017 et 2018. Le travail a été réalisé à destination de l’exposition du CARMA “Entre 2 Mondes”. Le propos de cette exposition était de réenvisager la rencontre entre navigateurs européens et populations amérindiennes après la découverte des Amériques. J’ai cherché à interroger les enjeux différents de la ligne dans le dessin amérindien kali’na et le dessin cartographique ou scientifique (botanique) européen. Le montage a été finalisé en 2020. 

 

Pour ce projet, j’ai voulu avoir une maîtrise de totale de mon sujet. La question de savoir comment dire ce que je voulais dire s’est rapidement imposée à moi. Je souhaitais porter mes réflexions par les images, mais c’est déjà oublier que les images elles aussi parlent. Tout le travail de montage a consisté à articuler ces différents éléments dont se compose le film. Et cela, afin de ne pas être dans une simple illustration discursive, mais de proposer également une exploration plastique. J’ai cherché à expliciter de manière intelligible cette rencontre civilisationnelle entre Amérindiens et Européens et donner à sentir l’écart des systèmes graphiques et perceptifs de ces peuples. J’ai donc opté pour des segments plutôt illustratifs et réservé mes recherches formelles à de plus petites séquences, afin de préserver la subtilité du discours dans l’alternance entre intelligible et sensible. 


Cela m’a conduit à stratifier ma vidéo par couche. Il y a d’abord ce mouvement qui part de la rencontre entre les Amérindiens et les occidentaux, et s’en vient questionner le moi et le sujet percevant. Mais il y a aussi un second mouvement, dont l’origine est la couche superficielle du modèle occidental, concentré sur la représentation mimétique du monde (par le contour, à des fins de prélèvement, de classification, et de hiérarchisation), qui vient s’opposer à l’intériorité des Amérindiens, cherchant à exprimer la mémoire profonde de l’être à travers une intensité kinesthésique de l’existence par le corps, à travers la danse et la marche notamment. C’est donc de ces mouvements opposés (entre Europe et Amérique, extérieur et intérieur) et de cette structure en couche, que prend forme Voyages dans nos Indes intérieures.

FCDEP

Comment a évolué votre travail par rapport à votre précédent projet La Géopolitique de l’oubli ?

Daphné Nan le Sergent

Que se soit dans La Géopolitique de l’oubli ou dans Voyages dans nos Indes intérieures la question de la dissociation y est omniprésente, bien qu’elle s’y retrouve de différemment. Je n’ai pas utilisé de splitscreen dans ce film comme j’avais pu le faire dans La Géopolitique de l’oubli ou encore Paysage Liminaire. Dans Voyages dans non Indes intérieures la dissociation se fond dans le sujet et ce qui est donné à voir, elle passe davantage par le discours, dans la dichotomie entre le chant indigène et les réflexions théoriques silencieuses qui apparaissent en sous-titre ; mais aussi dans cette opposition entre amérindiens et occidentaux. Cette récurrence est peut-être ce qui fait style chez moi. 

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