Melting Rust

Anne-Sarah Le Meur et Jean-Jacques Birgé

Pays
France
Année
2019
Format de projection
Performance
Durée
30'
Diffusé dans Compétition #6.

Synopsis

Melting Rust explore la puissance métaphorique des couleurs. Inspirée par une ville idéale, Victoria (Transylvanie, Roumanie), initialement pointe de l’industrie pétro-chimique, maintenant ravagée par de nombreux accidents, elle se développe sur des teintes aux évocations multiples : vert pour la nature, bleu pour le rêve d’une vie meilleure, rouge pour l’amour et le drame, orange pour la rouille… selon des rapports contrastés, rien n’étant univoque.

Texte du comité de sélection

Pour qui a voyagé, les mots par lesquels les auteurs décrivent cette magnifique performance, résonnent parfaitement. Ils constituent une porte d’entrée dans l’univers de l’œuvre. Ils ne sont peut-être pas absolument indispensables pour accéder à la constellation de sens qui l’a motivée - cette question est difficile à trancher - mais ils sont là, dits, écrits. Les motifs plastiques abstraits organisés dans une palette chromatique chaude pourraient ne suggérer qu’un vague thème d’écoulement, de fluidité, d’ondes aqueuses, soutenus en cela par le flux sonore combinant timbres cristallins et résonances de cymbales anharmoniques. Au lieu de ça, pour celui qui a voyagé disais-je, la sémiotisation vers laquelle orientent les mots “pétrochimie”, “usine”, “chômage”, “rouille”, “rêve”, “nature”, mobilise une quantité phénoménale d’impressions et de pensées. Tout remonte ! Je ne suis pas contre l’usine, le travail, l’acier, mais comment, pour qui, pourquoi, à quel prix ? L’Europe est pleine de ces fantômes, je veux dire, de ces vestiges d’usines.

– F.T.

FCDEP

Quel est le point de départ de Melting Rust ?

Anne-Sarah Le Meur

Pour la fête de Victoria, ville de Transylvanie en Roumanie qui a beaucoup souffert de l’utopie du progrès, et où nous partions en résidence en août 2019, Dana Diminescu, une des deux organisatrices, nous a proposé d’intervenir. (Ils travaillent ensemble sur un grand projet pluridisciplinaire autour de Victoria).

On imaginait qu’on verrait des usines désaffectées et en ruines. J’ai moi-même souvent photographié des objets rouillés ou cassés, des murs en vrac. Par ailleurs, je travaillais à des passages épars avec fond gris, orangé, en dialogue avec des teintes fuchsia, vertes ou turquoises intenses. J’ai réussi à les assembler selon une progression sur laquelle Jean-Jacques a construit la structure de sa composition à partir de laquelle il improvise.

FCDEP

La bande sonore me semble avoir un rôle très important dans votre film. Comment avez-vous pensé le rapport entre le son et l’image ?

Anne-Sarah Le Meur

Je souhaitais que la musique reste très ouverte, et ne limite pas l’interprétation des images. Jean-Jacques et moi-même refusions l’illustration sonore, banale, et désirions créer des surprises dans les relations image/son, ce que Jean-Jacques appelle le synchronisme accidentel. Je lui ai demandé aussi d’y insérer quelques silences.

Jean-Jacques Birgé

J’ai emprunté le concept de synchronisme accidentel à Jean Cocteau. Si l’on sait ce que l’on veut et pourquoi on le fait, c’est magique ! Une dialectique s’installe entre la musique et les images. J’ai classé les timbres en fonction des moments calmes et des plissés, avec des lames qui viennent briser le morphing.

FCDEP

Pouvez-vous détailler le processus de création ? Quelle technique avez-vous utilisé pour concevoir ces images ?

Anne-Sarah Le Meur

Mes images sont programmées, entièrement générées par des nombres et fonctions géométriques. Structurellement en 3D, elles sont réduites à une surface en mouvement face à l’écran. L’espace existe à l’intérieur de cette surface, diminué peut-être, mais plus riche, car ambivalent, indéterminé, subjectif… Ensuite, je projette des lumières colorées sur cette surface. Jouant avec les paramètres, liberté incroyable qu’offre la programmation, j’ai pu découvrir une lumière négative, inversée, noire !, fascinante et très mystérieuse, qui se mélange à l’autre – ou aux deux autres lumières. Leurs positions spatiales respectives variant, elles nuancent indéfiniment les teintes. Je fais quasiment tous les paramètres évoluer : lentement et automatiquement dans les pièces génératives, et, plus brutalement dans les performances.

Mes images restant simples techniquement, je peux les animer en temps réel (sans délais de calcul) et donc les moduler, les activer en cours d’exécution du programme via le clavier, ce qui permet la performance.

Jean-Jacques Birgé

Je m’inspire toujours des intentions de l’auteur des images. Je pose beaucoup de questions. J’aime surprendre sans être iconoclaste. Pour Melting Rust j’utilise des sons qui se transforment, et je joue tout en temps réel, il n’y a rien d’enregistré, je reste très attaché au geste instrumental.

FCDEP

Combien de temps a pris l’élaboration de Melting Rust ?

Anne-Sarah Le Meur

Une fois les séquences antérieures quasi réalisées (donc plusieurs années !!), j’ai eu besoin d’une semaine au moins à plein temps pour tester, moduler, écrire et structurer la progression. Puis on a fait des tests de dialogue avec Jean-Jacques, deux fois deux heures peut-être ? Je lui montrais mes séquences, il me faisait écouter divers sons. Et on discutait de leurs liaisons…

Jean-Jacques Birgé

Ce sont évidemment des années de travail qui permettent de créer très vite, dans l’émotion. Mais pour choisir les timbres adéquats, ce qui correspond pour chacun d’entre eux à un jeu instrumental différent sur mon clavier, cela peut me prendre quelques jours. Penser longtemps pour agir vite ! J’ai hâte de voir et écouter notre nouvelle interprétation.

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