Diffusé dans Compétition #2.
Synopsis
Une femme queer est enceinte. Deux gouines et un homme trans constituent une cellule familiale sur mesure. Iels imaginent une sorte de magie érotique qui leur permettra de procréer sur la seule base du désir. Ensemble, iels mettent en place un rituel sexuel public pour symboliser leur espoir de multiplicité, assumant leurs corps cyborgs comme des interventions technologiques. Après une fausse couche, tou.te.s les trois construisent une mythologie leur permettant de comprendre où vivent les corps lorsqu’ils ne sont pas en nous. Iels retracent le mouvement du non-corps, d’un trou, à une rivière, à une chambre. Iels sont hanté.e.s par l’image d’une chambre blanche imaginaire, d’une chambre de torture ikea-esque. Un parallèle prend forme entre le corps en gestation et le corps trans, l’acte techno-sexuel devient la clé, et une pyramide forme un portail vers cet autre monde d’existence non-corporelle.
Documentation
À des années-lumière des contreforts de Theloson, dans un pays de lacs et de ruisseaux, vivait une nymphe vigoureuse. C’était une créature rusée et parfois monstrueuse. Née née d’une mère humaine, et d’un père titan, la nymphe était née avec des dons de sorcellerie. Pourtant, elle avait envie d’être une humaine ordinaire, comme beaucoup d’être non-humains.
Elle n’était pas intéressée par les protubérances, les extensions. Elle préférait ce qui s’inverse, ce qui s’ouvre et reçoit.
Alors qu’elle vieillissait, la nymphe entourée de ses servantes, souhaitait un enfant. Cependant, ses années de réclusion associées à sa préférence pour les corps semblables au sien, ne lui offraient que peu de possibilités d’être fécondé. Ses servantes lui procurèrent des hommes forts, provenant de l’extérieur de l’enclave, mais l’un après l’autre ses entrailles rejetèrent leurs offrandes.
Craignant l’impossible, la nymphe se sentait dépourvue et sans alternative. Un soir, sous le couvert du clair de lune et du brouillard, elle se mit en route pour aller chercher son père dans sa patrie, la Pyramide du Soleil. Le voyage dura trois pleines lunes, passant trois fois devant ses œufs non fécondés. Sur la piste du potentiel à naître, la nymphe vieillissante, désespérément en quête d’un enfant, arriva épuisée aux contreforts du mont Theloson, la demeure de son père.
Elle escalada la face quasi verticale de la pyramide de 275 mètres sous un soleil de plomb pour supplier son père, un titan, monstre et sorcier, de lui accorder un enfant. Ses pieds étaient couverts de cloques, laissant des traces de chair le long du sommet rocheux. Pris de remords de l’avoir abandonné, le père de la nymphe fit appel à sa compagne. Il choisit son jeune amant, une sorte de chimère, fils de monstres et d’humains, pour féconder sa fille. Au sommet de la pyramide, la bête chanta des chansons et dansa pendant des heures, pour encourager le réceptacle de la nymphe à s’ouvrir. Le désir de la chimère grandissait à mesure qu’elle contemplait le vortex qui s’ouvrait, un trou dans un trou dans un trou, scintillant dans la lumière sombre de l’après-midi. Ce n’est qu’une fois qu’elle fut ouverte pour recevoir sa semence qu’il révéla la nature de ses organes, car il vivait à la fois avec l’intérieur et l’extérieur - des entrées pour recevoir, ainsi que des protubérances pour insérer.
Les serviteurs du titan, inspirés et familiers des plaisirs érotiques du titan et de son jeune amant bestial, commencèrent à faire de magnifiques dessins des créatures - des images du chant et de la danse de la chimère, des images de l’ouverture de la nymphe s’élargissant. Avec précision et hâte, et sous la transe hypnotique du chant, de la danse et de la luxure, les dessins des serviteurs parsèment les sommets de la pyramide. Alors que leur rituel d’accouplement se poursuivait, la nymphe et la chimère contemplaient les documents, les images animant leurs propres corps en pleine expansion. Elles s’émerveillaient de la magie de leurs propres façades, de la monstruosité glorieuse… De leurs extérieurs, de leurs intérieurs. Et ces images les conduisirent ensemble près d’un petit trou au centre du sommet de la Pyramide du Soleil.
Au centre de la pyramide, et au plus fort de l’excitation, une longue branche jaillit d’une anfractuosité entre les jambes de la chimère. Au cours d’une période de temps indéterminée (certains disent que le processus a pris une semaine et que la nymphe a attendu avec lui sans nourriture, ni repos, tandis que d’autres affirment que cela s’est produit en quelques minutes), de la branche a poussé un bourgeon. A l’intérieur du bourgeon, une seule graine. La bête ordonna à la nymphe de consommer le bourgeon, de le détacher de sa branche et d’ingérer la graine. Consumée par la ferveur, la nymphe arracha le bourgeon de sa branche. Sous la pression de sa langue, le bourgeon se rompit avec force, laissant échapper une boue glissante, dans laquelle la graine était engluée.
La graine émettait une lueur visible lorsqu’elle descendait le long de la gorge de la nymphe jusqu’à son ventre. La chimère, qui avait donné sa semence de vie comme offrande et sacrifice, gisait sans vie près du trou, son but étant atteint. Le titan et les serviteurs regardèrent le ventre de la nymphe se gonfler, sa semence pulsant en elle, la fusion de leur non-humanité créant un gonflement visible de sa forme.
Avec les restes de la force vitale de la chimère triomphante en elle, on dit que la nymphe retourna ensuite dans son pays de lacs et de ruisseaux, où elle donna naissance à son enfant et l’éleva jusqu’à l’âge adulte. Dans ses veines coulaient les héritages des titans, des chimères, des nymphes et des humains, mais aussi des possibles. Ce non-être, né de circonstances apparemment impossibles, est devenu un être de chair et de sang.
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Les gens remplis d’espoir aiment imaginer que cette histoire se termine par la fécondation triomphante de la nymphe. Mais les non-humains connaissent la version réelle, où la nymphe, ses servantes et la chimère sont aspirées au plus profond du trou, de leur vide de possibilités finies vers un autre vide d’impossibilité finie.
De crevasses étroites, de tunnels et de cavernes, leur voie d’eau s’ouvre sur une pièce. Une simple pièce blanche. La chimère reconnaît cette pièce comme l’endroit où vit tout notre moi à naître. Il est déjà venu ici auparavant.
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Texte écrit par Angelo Madsen Minax & Amber Bemak
(Traduit de l’anglais)