Le Quatuor ambigu

Érik Bullot

Titre original
Le Quatuor ambigu
Pays
France
Année
2020
Format de projection
Numérique
Durée
18’
Diffusé dans Compétition #3.

Synopsis

Inspiré par l’univers de l’écrivain André Pieyre de Mandiargues, Le Quatuor ambigu présente une série de tableaux poétiques et visionnaires au cours desquels quatre jeunes femmes, inspirées des artistes Meret Oppenheim, Bona, Leonora Carrington et Leonor Fini, se livrent à des exercices de divination, rappelant la part féminine dans l’élaboration de l’œuvre de l’écrivain.

Documentation

NOTES Sur Le Quatuor ambigu, septembre 2021 par Érik Bullot

Ce film est né d’une invitation d’Alexandre Castant à participer au colloque consacré à l’écrivain André Pieyre de Mandiargues qui s’est tenu à Cerisy en août 2021. Il s’agissait, selon sa proposition, de réaliser un film sur ou autour de l’écrivain avec les étudiants de l’École nationale supérieure d’art de Bourges.

J’ai accepté immédiatement son invitation en souvenir de mes lectures (de jeunesse) de l’écrivain. L’une des difficultés du projet tient à la nature du texte de Mandiargues, d’inspiration surréaliste, convoquant une écriture précieuse, baroque, savante. Par son caractère lyrique, souvent métaphorique, l’imagination de l’écrivain se situe à l’interface de la vision, voire de la voyance, et du langage. Où naissent les images ? Où se projettent-elles ? Ne sont-elles pas encloses dans le langage lui-même ? De façon générale, la poésie de l’écrivain semble se tenir dans un en-deça du visuel. Le cinéma n’est-il pas étranger, résolument, au projet littéraire de Mandiargues ? Tel est le premier défi du film. 

Difficile également, aujourd’hui, d’aborder et d’interpréter le caractère masculin de l’imaginaire de l’écrivain, épris de nudité et de défloration, décrivant souvent des scènes de viol. Comment lire aujourd’hui Mandiargues en termes de genre ? Où est la place d’une parole féminine qui ne soit pas soufflée par l’homme ? Second défi.

Le Quatuor ambigu se propose de mettre en scène la situation même de l’atelier. Quatre jeunes femmes, interprétées par des étudiantes, s’attachent à lire, à déchiffrer, à dicter, à recopier le texte de Mandiargues, à la manière de secrétaires, de dactylographes ou d’archivistes. Leurs personnages sont inspirées des artistes qui ont accompagné l’œuvre (et la vie) de l’écrivain, sur l’œuvre desquelles Mandiargues a écrit : Leonor Fini, Bona de Mandiargues, Meret Oppenhemin et Leonora Carrington.

Il s’agit de prêter attention au rôle ambivalent des femmes dans la création littéraire. En dictant le texte, en le recopiant, en découpant les livres de l’auteur, les quatre secrétaires se l’approprient et le réfléchissent. Sont-elles les dactylographes invisibles de l’œuvre ? Ses subalternes ou ses ouvrières secrètes ? Participent-elles de sa fabrication ?

On est souvent frappé par le caractère dissonant de son écriture. L’écriture, dit-il, doit faire entendre des grincements de girouette. Il s’agit dès lors de ne pas abonder dans le lyrisme, mais au contraire de découper le texte, à la manière d’un télégraphe. Sa fragmentation par l’usage de la machine à écrire a pour enjeu d’en révéler l’articulation, la mécanique particulière, même si l’écrivain était rétif à la dactylographie. D’où le choix de la dictée, de la scansion comme appropriation du texte. 

L’écriture de Mandiargues renvoie à un exercice de voyance (l’auteur revendique d’ailleurs cet aspect), qui rencontre un certain cinéma visionnaire. Je pense aux écrits de Maya Deren sur le cinéma poétique, croisant l’horizontalité du récit et la verticalité du poème. La suite des propositions visuelles du film (jeux de filtres colorés, projections, monde d’objets) s’inscrit dans ce courant. 

J’aimerais que le côté discontinu, rêche, grinçant de l’écriture de Mandiargues passe dans ce film à travers la dictée féminine.

 

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