Flânerie intellectuelle : cinéma netnographique de Lého Galibert-Laîné

Le CJC présente une rétrospective de l’un·e des cinéastes et chercheur·euses les plus éminent·es dans le domaine du desktop documentaire. Lors de cette séance Lého Galibert-Laîné présentera quatre de ses œuvres acclamées qui explorent de manière inédite et engageante le monde des communautés en ligne et la manière dont Internet façonne nos vies. 

Né·e en 1992, Lého Galibert-Laîné a entamé ses enquêtes netnographiques (un mot-valise associant “internet” et “ethnographie”) au milieu des années 2010 en tant que doctorant·e au sein du programme de recherche-création SACRe (ENS de Paris), explorant les potentialités de la recherche académique audiovisuelle sur les médias en ligne, alors encore balbutiante. D’abord, Galibert-Laîné utilisait la forme de l’essai audiovisuel pour “traduire” ses recherches écrites, mais cette démarche a rapidement évolué vers une méthode plus expérimentale, libre et ludique – une recherche “performative” selon Catherine Grant – qui valorise la perspective à la première personne et la mise en scène du processus de recherche/production, plutôt que la simple présentation des résultats.

Cette approche subjective et largement accessible, qui expose ouvertement les pensées, hésitations et frustrations de l’auteur·ice durant sa recherche sans pour autant manquer de rigueur intellectuelle, est précisément ce qui rend les œuvres de Galibert-Laîné si fascinantes et engageantes. Watching the Pain of Others (2019) et Forensickness (2020) illustrent parfaitement cette démarche d’enquête novatrice. L’auteur·ice, à la manière d’un·e ethnographe, façonne un journal de recherche personnel entièrement sur l’écran de son ordinateur, qui évolue peu à peu de commentaires sur des films l’ayant inspiré·e (l’un sur une mystérieuse maladie de peau, l’autre sur les détectives amateurs d’internet) vers une immersion inattendue au cœur de groupes de conspiration en ligne. 

Dans son œuvre la plus récente, I would like to rage (2024), Galibert-Laîné examine la politique des émotions et les conséquences de la répression de nos affects comme la colère, abordant le sujet difficile du trauma avec une légèreté empathique et une auto-réflexion incarnée par le réemploi décalé de mèmes et GIFs célèbres d’internet. Reading//Binging//Benning (2018), co-réalisé avec Kevin B. Lee (à qui l’on doit le terme “desktop documentary”), explore tout aussi joyeusement la question du spectateur à travers de curieuses vidéos de fans sur YouTube inspirées par la pratique réputée pour son hermétisme du cinéaste expérimental James Benning.

Issus du cinéma expérimental et du found footage, ces nouveaux essayistes vidéo, dont Galibert-Laîné fait partie, sont qualifiés par Scott MacDonald de nouvelle avant-garde qui critique à la fois “les médias commerciaux et la littérature logocentrique de la recherche académique sur le cinéma et les médias”. La nouveauté des desktop documentaires réside aussi dans le fait qu’ils sont entièrement façonnés dans l’environnement numérique, l’écran devenant le véritable plateau du film. Cela ouvre la voie à de nouvelles esthétiques et approches cinématographiques, affranchies des normes et contraintes du cinéma traditionnel.

En mimant nos propres interactions quotidiennes avec l’interface informatique, marquées par des clics incessants et la navigation sur internet, les films de Galibert-Laîné agissent comme un miroir réflexif intrigant, offrant une expérience de visionnage unique qui invite à une réflexion collective sur notre rapport aux images et aux médias en ligne.

 

- Ejla Kovačević

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