75005 Paris
Du court-métrage Royaume (1991) au portrait abrasif de Lydia Lunch My lover the killer (2020), de la pellicule 8mm à la vidéo, cette séance rétrospective revient sur les différents cycles et supports composant l’œuvre cinématographique de Marc Hurtado pour mieux célébrer la même pulsion vitale et créative qui la traverse de bout en bout. Figure essentielle de la scène musicale d’avant-garde avec le groupe Étant Donnés co-fondé avec son frère Éric en 1977, il réalise en parallèle une série de sublimes poèmes visuels tournés/montés avec une caméra 8mm dont Royaume constitue l’un des points d’aboutissement. Initié dès l’âge de quatorze ans avec Des autres terres souples (1976-1979), ce premier cycle se poursuit jusqu’à Blanche en 1996 et repose sur une pratique intuitive de la surimpression toujours réalisée dans “l’instant magique du tournage”. La pellicule devient le site d’une rencontre lumineuse entre la nature environnante et le visage de l’artiste qui se dissout dans la matière pour mieux fusionner avec elle. Chuchotés en voix off et mêlés à une composition sonore bruitiste et sensorielle, ses poèmes s’apparentent à des sortilèges primitifs qui invoquent et exaltent l’unité du monde retrouvée. Les différents éléments se rencontrent, le corps se mêle au paysage, le micro au macrocosme : tout communique et s’embrase dans une expérience extatique qui s’ouvre sur l’infini.
Profondément lié à l’argentique et son procédé d’enregistrement photochimique, le cinéma d’Hurtado connaît un tournant important en 2009 avec Ciel Terre Ciel qui marque sa première utilisation de la vidéo — support qu’il avait longtemps rejeté. Ce court-métrage de 5 minutes naît d’une commande de Nicole Brenez pour le film collectif, Outrage et Rébellion, initié contre les violences et répressions policières françaises qui font perdre un œil au jeune Joachim Gatti dans une manifestation à Montreuil. Le soleil, motif central de la période 8mm, perce ici le centre du cadre pour l’inonder de lumière et nous aveugler. Il met à l’épreuve l’objectif de la caméra DV pour provoquer une série d’imperfections : des irisations arc-en-ciel apparaissent, l’astre s’étend dans l’image en dessinant les branches de l’étoile. La vidéo intéressera ainsi Hurtado pour sa fragilité, ses erreurs et défauts techniques, tout en lui permettant de s’ouvrir et d’accueillir l’autre dans ses images. The Infinite Mercy (2009) et My lover the killer (2020), consacrés respectivement à ses amis et collaborateurs musicaux Alan Vega et Lydia Lunch, transcendent le portrait documentaire par leur prodigalité plastique (zooms, décadrage, flou, virage chromatique, etc.), à même de capter l’intense énergie libérée par ces êtres irradiants. Ces astres noirs deviennent le reflet de l’artiste lui-même, tous reliés par une extrême affinité spirituelle et créative. Par-delà le changement de support, l’œuvre hurtadienne poursuit alors son horizon fusionnel et unificateur, déjà suggéré par son poème Croix qui délivrait la formule alchimique de son cinéma incandescent :
C’est en croix que je brûle mon âme
C’est en moi que tu brûles ton âme
C’est en toi que je brûle mon âme
C’est en croix que tu brûles ton âme
C’est en moi que je brûle ton âme
C’est en toi que tu brûles mon âme
C’est en croix que je brûle ton âme
C’est en moi que tu brûles mon âme
C’est en toi que je brûle ton âme
C’est en croix que tu brûles mon âme
C’est en moi que je brûle mon âme
C’est en toi que tu brûles ton âme
Texte : Robin Vaz