Cette séance s’organise en deux parties. Tout d’abord, en adoptant a priori un style documentaire, cinq courtmétrages fictionnalisent la ville. Très vite l’enchaînement en apparence absurde des images, les surimpressions, le montage discrépant ou le commentaire insolite incitent à créer des lieux utopiques, à s’introduire dans des univers imaginaires. Grain sonore, cacophonie visuelle, lumières et sons hétéroclites de la cité induisent un flou interprétatif, « artistique », où tout est envisageable, car tout est réversible.
Les films de Marc Moret, Michèle Waquant, Caroline Pellet et Jean-Luc Godard produisent d’eux-mêmes un lieu à habiter. Ce n’est pas le cinéma qui informe sur la ville, mais le film qui est à l’origine de sa création. La ville devient le début de la fiction. Le génie des lieux est un fantôme « en mouvement » qui propose au spectateur une cité à bâtir à partir de ses propres composants. Ces vues et ces écoutes sont comme une invitation au voyage urbain.
Filmer c’est proposer une vision du monde, en construire une représentation. Il ne s’agit jamais du réel. Ces oeuvres ne présentent pas une oeuvre en soi, mais s’analysent comme création en cours. La distance prise avec les normes fait tituber le genre documentaire. Celui-ci dérape, se mystifie, se pare de myriades d’éventualités… Si l’architecture dialogue avec l’urbanisme, l’urbain est celui qui habite la ville, mais qui est aussi courtois. Quel espace de sociabilité, quelle forme de courtoisie entretiennent ces sons et ces images ?
Comment détourner les règles attendues, les convenances narratives forcément « invivables », « inhabitables » ? En proposant au spectateur les interstices, les entrelacs entre deux plans où se dessinent des romances en devenir, le genre documentaire bascule vers le projet (en relation étroite avec le projet architectural). Le spectateur se fait son propre film, se raconte sa propre histoire…
La conférence illustrée, présentée en deuxième partie, consolide ce postulat : Érik Bullot réutilise les fragments d’un de ses films tournés à Paris. Chaque séquence projetée s’accompagne d’un commentaire. La conférence est émaillée de divers documents visuels et sonores venant tour à tour informer et déformer la fiction originale. De nouveaux récits s’actualisent. On assiste, là encore, à une révolution des images. Le discours performatif de l’artiste se joue avec humour et ironie de l’autobiographie en usant de l’art du conteur et de la technique du repentir. Le nouveau montage qui en découle interroge les origines et les possibles avatars d’un film : l’oeuvre et son analyse se critiquent mutuellement, révèlent leur aspect affabulateur. Le cinéaste adopte à chaque performance un parcours urbain différent. Il offre à chaque fois une déambulation inédite, une flânerie particulière qui privilégie les chemins de traverse.
Le titre de la séance reprend les propos de Godard qui, à la fin de son film, énonce de façon programmatique : « … trouver dans tous ces mouvements de foules le rythme, retrouver le départ de la fiction parce que la ville c’est la fiction […] . Elle peut être belle à cause de ça et ceux qui l’habitent sont souvent magnifiques et pathétiques […]. »
— Gabrielle Reiner