Dans les années 70, la linguistique exerçait son pouvoir d’attraction sur une bonne partie des productions théoriques et artistiques, de la philosophie aux sciences humaines et sociales en passant par la littérature et le cinéma. Sa capacité à modéliser le fonctionnement du langage en tant que structure et à produire des concepts — notamment ceux de signifié et de signifiant1 — rejoignait sans doute une certaine idée de la modernité : les structures sous-jacentes mises au jour par les analystes avaient valeurs de preuves de scientificité irréfutables, c’est-à-dire de vérité incontestable.
Mais aujourd’hui encore, alors qu’un décentrement théorique a été opéré au sein des sciences humaines, aussi bien vis-à-vis de la Vérité que du formalisme nécessaire pour s’y approcher, les cinéastes et les artistes en général ont recours plus ou moins consciemment à diverses théories du langage issues de cette période. Or, depuis l’époque dite post-moderne, des approches comme la sociolinguistique, l’analyse du discours ou l’anthropologie linguistique ont largement remis en question ce cadre structuraliste, qui faisait du code son unique horizon, en resituant le rapport entre forme et sens dans un contexte, toujours mouvant et dynamique, dans des relations subjectives et surtout dans une histoire. Dès lors, la dimension politique du processus interprétatif est apparue sous un nouveau jour.
Langue, parole, discours, langage, signe, dialogue, voix, interaction… autant de manière de dire l’activité langagière. Mais combien de manières de la filmer ? De la mettre en images et en sons? Et qu’est-ce que ces différentes représentations nous apprennent quant aux rapports — poétiques, politiques, théoriques — des cinéastes expérimentaux au langage ?
Parce que le langage n’est pas qu’une question de sens et parce que le cinéma a toujours à voir avec le langage — qu’il le questionne explicitement ou non — , et parce que l’un et l’autre peuvent avoir une portée critique et réflexive, l’objectif de cet atelier est de faire dialoguer le regard cinématographique et celui du (socio)linguiste, à partir d’une sélection de films expérimentaux, autour d’une question : que font les cinéastes expérimentaux lorsqu’ils filment l’expérience du langage ?