LE LIEU DE L'EFFORT

« Parmi ces escaladeurs qui, chaque année, pendant la belle saison, tentent de gravir quelque cime haute et difficile, il en est, paraît-il, qui montent par amour de la gloriole. Ils cherchent, dit-on, un moyen pénible, mais sûr, de faire répéter leur nom de journal en journal, comme si, par une simple ascension, ils avaient fait une œuvre utile à l’humanité. Arrivés sur la cime, ils rédigent, de leurs mains raidies par le froid, un procès-verbal de leur gloire, débouchent avec fracas des bouteilles de champagne, tirent des coups de pistolet comme de vrais conquérants et secouent des drapeaux avec frénésie. »

Élisée Reclus, Histoire d’une montagne, 1880. 

Si pour certains, esclaves de leur état, il est essentiel de gravir, laissons-les, les porte-drapeaux de l’anthropocène … laissons-les s’attaquer aux plus hauts sommets. Et concentrons-nous à creuser pour dénicher ce qui nous a été soustrait – les vies – volées par les grimpeurs, enterrées par ceux-là même qui portent les flambeaux de la course au progrès, de la modernité masculiniste, racialiste, extractiviste. Battons des records d’exploration discrète des profondeurs, pour donner à voir les trous béants du corps céleste sur lequel nous vivons. Et progressivement, dans ses zones d’ombres, faire entrer la lumière sombre de la réalité qui nous est dérobée. Que toutes ces virtualités négatives actualisées sous perfusions de testostérone nationaliste apparaissent aux yeux de tous•tes pour ce qu’elles sont, des cimetières célestes ou ne gît pas seulement Dieu mais aussi à ses côtés le corps bodybuildé de l’homme moderne.