Edito

étoilements N°2/ mars 2008 : le devenir

Truismes

Le cinéma devient. Un truisme. Une affirmation qui semble pourtant n’aller pas de soi. En proposant le devenir comme signe d’écriture, nous n’envisagions pas toutes les dimensions de ce verbe qui seraient sollicitées. D’une certaine façon, les textes ici proposés réfléchissent en effet dans des sens divers, mais complémentaires, assurément. Peut-on penser le cinéma comme un devenir ? Qu’est-ce qui, par l’écriture, peut donner à voir un cinéma qui devient ? La volonté initiale était de proposer, entre autres, ce qui se déploie en amont du film : des notes d’intention, un revenir poétique sur les images d’un film en cours, lui-même motivé, c’est-à-dire mis en mouvement, par des phrases que le cinéaste a reçu d’une autre… C’était laisser de côté une autre question, grave, pressée, urgente. Que devient le cinéma ?

Le cinéma, par le dispositif de la projection, donne lieu, ouvre un espace à une collectivité. Entre le projecteur et l’écran, il y a une distance qui distribue cet espace où tous regardent dans une même direction. Il y a, fondamentalement, nativement, une dimension politique du cinéma, qu’il soit considéré comme œuvre ou comme lieu. Il ne peut du reste être l’un sans être l’autre. Une œuvre qui d’une quelconque façon ne donne pas visage au monde, ne donne ni lieu, ni temps, n’en est proprement pas une. Et que cette œuvre soit achevée, terminée, ne la décharge pas d’avoir, encore et toujours, à susciter une manière d’hospitalité.

Aussi, poser la question politique du devenir du cinéma, ce que font Damien Marguet et Orlan Roy, provoqués par la situation où nous plongent les orientations budgétaires, c’est-à-dire idéologiques, de l’actuel gouvernement, fait ce numéro d’étoilement atteindre à une évidente justesse de ton. Puis-je vouloir la poésie sans vouloir en même temps un monde où elle soit possible ? Puis-je défendre le geste poétique, qu’il soit phrase ou image, sans me préoccuper en même temps de la générosité à laquelle il nous ouvre un accès, générosité dont nous voyons le sens se perdre au fil des jours ? Le film peut-il devenir si nous ne lui laissons pas quelque espace où il puisse entrer en présence ? Peu ou prou, c’est peut- être ces préoccupations que s’efforcent de traduire les textes ici réunis. Le cinéma devient en tant qu’il a des possibles. Tel film réalisé il y a 30 ans continue de prendre du relief s’il est confronté à tel ou tel plan d’un autre film, tel vers d’un poème qui vient à sa rencontre, tel regard qui avait besoin de lui pour s’approfondir en vérité. Ceci se produit dans nos salles de cinéma. Nous ne devons pas renoncer à ces lieux où nos images sont plus grandes que nous, ces chambres obscures, petites ou grandes, par où les films, et avec eux quelque chose du monde, deviennent.
 

Rodolphe Olcèse

L’appel était le suivant :

Notre proposition pour le prochain numéro d’étoilements s’oriente cette fois-ci vers l’idée de devenir. Ce qui dans un film, ou dans une démarche artistique, refuse de se fixer dans une forme, de proposer une solution esthétique unique. Ce qui échoue aussi, malgré les intentions manifestes. Ce qui (se) rate, se perd ou se dissout, ce qui ne se veut pas efficace ou ce qui a besoin de se reprendre, de se répéter, de se décliner à l’infini, dans un mouvement permanent de l’oeuvre qui la nie et la réinvente à chaque fois. L’inachèvement ou l’ouverture aux possibles, l’utopie des possibles, du jeu infini des significations, au sein d’une oeuvre. L’affirmation du vivant et ses conséquences esthétiques, politiques, et économiques.

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