Notes sur un film en devenir

par Philippe Cote

Je regarde mes images, à la recherche d’une expérience, d’une histoire, d’un sentiment… esquisse peut-être d’un futur film.

Les Ombres

Une ruelle filmée la nuit, un trait de lumière se réfléchit au sol et expose certaine partie de l’image. Une jeune femme s’y engage, à la démarche hésitante. Tout au long du parcours, elle se révèle et se dérobe à notre regard, passe dans la lumière ou disparaît dans le noir.

D’autres plans de rues étroites encadrées de maisons, d’immeubles… lignes de fuite où naissent, s’évanouissent des silhouettes fantomatiques, d’un ailleurs qui n’est pas dans le présent du tournage.

Certains motifs reviennent… une demeure, une entrée, un balconnet. Par ces retours à l’identique, un curieux renversement s’opère où ces images semblent nous interpeller, nous regarder d’un lieu, d’un temps qui nous échappent. Dans le noir, au loin un écran de lumière, dans lequel s’inscrivent avant de se dissoudre des spectres aux contours mal définis. Sur le devant, dans l’ombre, on devine une présence… texture d’un reflet en miroir, que l’on revisite plus tard dans ces ombres passantes qui se reflètent sur l’eau, un mouvement vers le haut entame la traversée du miroir et dévoile le paysage alentour : un fleuve, des berges, une ville.

Les plans Lumières

Un marchand ambulant, des personnes entourent son étal encombré d’objets hétéroclites. On distingue une horloge. Les badauds déambulent, sans trajectoire précise, sortent et entrent dans le champ. Le marchand se saisit d’une paire de lunette de soleil, les met. Enfin, il crache violemment à terre.

Un garçon répare une bicyclette.
Au fond, derrière lui, apparaissent des enfants, adolescents, sortis d’uneécole,quienvahissentpeuàpeul’espaceoccupéparlejeunehomme… la durée redéfinit un nouveau partage dans l’image, en déplace le sens. Ce feuilletage à l’intérieur de l’image, on le retrouve dans ce plan où figure en amorce une peinture religieuse sur un mur et à côté le déroulé d’une rue, lieu de passage.

Sur les bords

Un comptoir de café, deux personnes installées sur le bord gauche du cadre… pour le reste, notre regard bute sur le mur du fond… ces personnes discutent de manière passionnée avec une ou des personnes restées en dehors du champ.

Un bateau, trois jeunes hommes accoudés, on ne distingue pas leurs visages… là, ils s’inscrivent sur le bord droit du cadre, regardent dans la même direction, prennent des photos, vers de lieux qui nous demeurent secrets.

Un marché, des outils, des objets posés à terre. Filmée en plongée, d’un côté, on aperçoit la moitié du visage de la vendeuse, de l’autre la main et le bras d’un acheteur… au centre le lieu de la transaction, immuable, perturbé un instant par une personne qui s’accroupit… le plan se termine brutalement avec la fin de la bobine.

Présence du hors champ, durée, étrangeté de la composition là, transport du centre de gravité vers les bords, nous ouvrent de nouvelles aventures du regard.

Ta solitude

Autoportrait du cinéaste.

Allongé, la caméra décadre son corps laissant un espace vide à ses côtés. La vitesse d’enregistrement imprime un mouvement saccadé à sa respiration, comparable à un essoufflement. Celui-ci se relève brutalement pour s’asseoir au bord du lit avant de disparaître dans le blanc de la surexposition de la fin de la bobine.

L’en dedans

Intérieur d’une chambre, une petite lucarne ouverte dans un des murs de la pièce nous laisse deviner autre chose, différemment, sous la forme du bleu du ciel, du blanc des bâtiments. Puis, dans un mouvement ascensionnel, notre regard avance lentement vers cette ouverture, tentative désirante d’abolir la distance qui nous sépare de cet ailleurs.

Une fenêtre ouverte, une personne entre dans le champ, se penche, puis la ferme… il ne reste à la fin qu’un mince filet de lumière.

La trace

Le détail d’un mur : carré blanc à la surface tortueuse, puis un autre carré, en noir et blanc et en couleurs, fissuré, échancré… des affiches, annonce d’une fête religieuse, en barrent en partie la surface.

Un mur surplombe une rue. On distingue une fresque : un Christ en croix et le nom de la rue Castelar. Il reçoit les ombres projetées des passants, des maisons alentours… les ombres se déplacent avec le soleil.

Un mur dégradé et une fenêtre opaque.

Surface écran qui supporte les ombres, pages ouvertes sur le monde parcourues par les traces du temps, limite parsemée d’ouvertures diverses comme autant d’appels vers de futures promesses.

Epilogue

Ce dimanche, dans une foire, je fais l’acquisition d’un lot ancien de films super 8, sur l’une des boites était écrit Andalousie.

 

 

Philippe Cote

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