Hymen de Carole Arcega, les traces du dévoilement

par Gloria Morano

«…plein de paroles qu’elle prononçait en dedans…»
Le maître de Milan, Audiberti

De l’immobilité à l’action, à la lutte de la matière contre une autre matière, à la méditation sur le presque invisible.

Mains, seins, ventre, nombril. Tout est peau, tout est surface tactile qui surgit sous les yeux du spectateur.
Il y a-t-il un point de vue certain ? Un positionnement qui suscite le regard ? Un désir regardeur appartenant à une personne déterminée ? Une subjectivité qui appelle la perception ?
Qui offre cette figure dansante qui se transforme, comme la pellicule qui la capture ? Quel corps-caméra nous donne petit à petit ce corps-film ?
Différents types de regard se succèdent et chevauchent sur ce corps, presque une sculpture vivante in fieri dont le visage apparaît en dernier. Différents types de regard, ceux de tous les spectateurs possibles et de leur propre corps qui se reflète dans l’exploration au microscope de ce corps féminin.

La lumière, la photo, le corps et son empreinte.
Mais pour Carole Arcega le corps vit également un processus de dévoilement. Il est enveloppé dans une membrane organique et aquatique.
Le corps, dirait Audiberti, est lui aussi un vêtement au même rang que les vêtements que nous mettons pour couvrir notre corps.
On pourrait préciser : la peau est un vêtement. Elle est sans doute une surface qui indique ou cache une profondeur.
Et la peau, dans son intégralité, est la nudité.
Carole Arcega met à nu la peau, le corps féminin, ainsi que la structure de la pellicule, le film même. Et cette nudité est ainsi perceptible, tactile justement parce que le corps féminin expérimente cette lutte avec la membrane qui l’enveloppe.
Le nu réel serait un abîme d’incommunicabilité. Cette mise à nu progressive et segmentée, au contraire, est la trace d’une quête infinie, de l’éternel questionnement autour du corps.
Le corps filmé est ainsi une volonté d’affirmation, de mouvement, de rythme, de lutte pour libérer son essence organique, sa substance tactile.

Ce corps nous parle. Il est élastique, esthétique, à la fois anatomique et abstrait. Ce corps étiré et démasqué est une préoccupation intime, la recherche d’une nudité-vérité supplémentaire grâce à l’immersion dans un liquide primaire et aux regards sophistiqués réalisés au microscope. Au-delà de la figuration, c’est une recréation de la femme à travers le mouvement, la danse.

Hymen, Carole Arcega

L’affranchissement de la membrane qui l’enveloppe est une façon de déplier ce corps, de le dérouler et de le déployer, de faire le point sur sa présence, finalement de le retrouver. Et la caméra retrouve son propre corps, les spectateurs rallient le sensible qui les rend vivants.

Le travail physique, concret sur la pellicule - sur ce qu’elle contient de corps, de chair, de texture organique - s’abandonne à la plasticité du corps féminin. Le visible est brouillé, les distorsions et les déformations du corps et de la pellicule se transforment en une libération de la matière primaire.

Et si ces images étaient une question que chaque regardeur devrait s’adresser à lui-même ? Une forme d’extériorisation de l’hymen d’aveuglement que nous n’arrivons pas à détruire dans la vision quotidienne et banalisée de nous-mêmes ?

Hymen est la transmutation du blocage que tout corps ressent, une forme de réappropriation de sa texture propre. Hymen est un appel de présence à soi, offert à tous les regardeurs.
 

Gloria Morano

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