Peaux / pellicules. Un lien élémentaire. Viviane Vagh, en évoquant comment elle a conçu son dernier film, rappelle cette équivalence que nous faisons spontanément entre ces deux membranes. C’est cette même correspondance qui sert de point de départ à Raphaël Bassan pour explorer un film de Morgan Fischer ou que Daphné Le Sergent déploie dans un beau texte sur des travaux de Christian Lebrat. Sous toutes ces figures, ce qui nous est donné à penser, c’est que le cinéma expérimental, qui se plaît à manipuler ses matériaux et son histoire, prend la peau pour ce qu’elle est : ce qui, d’une personne ou d’une œuvre, s’expose aux blessures et cicatrices, voire, comme dans le texte de Violeta Salvatierra sur Smooth de Catherine Corringer, peut devenir le recouvrement d’une transformation des corps engloutis dans la compénétration.
Pour autant, la pellicule suffit-elle à donner à nos films un accès à la peau, et par elle, au réel ? Didier Kiner interroge les mutations que connaît l’industrie cinématographique aujourd’hui pour questionner, en évoquant le travail troublant d’Alain Della Negra et Kaori Kinoshita, notre rapport à la réalité, qui, de facto, et à chaque instant, passe par la peau. C’est une même inquiétude qui anime les questions de Raphaël Soatto, dans une autre direction : de quoi notre peau est-elle la trace ? De quoi nos échanges silencieux avec la réalité et ses images nous enrichissent-ils ? Jacques Perconte nous rappelle que la poésie numérique n’aboli pas nécessairement ces dimensions de l’expérience du monde et des images, mais peut au contraire être l’espace même de leur renouvellement. Et c’est heureux.
Si notre ambition était d’interroger la peau comme surface, substrat ou support, nous voulions également, et plus décisivement, la penser comme lieu pour le monde. C’est de manière providentielle que La peau de Thierry Kuntzel est venue à notre rencontre. C’est grâce à la peau et par elle que les sentiments les plus profond peuvent venir à portée de regard et de main. Dans l’œuvre de Thierry Kuntzel, bien plus radicalement, c’est le monde lui même, son histoire et ses saisons qui semblent pouvoir frayer et se livrer, tout un, à notre regard. Rares sont les œuvres qui nous rappellent avec une telle adresse que si nous avons reçu vêtements de peaux, c’est parce que, du monde, nous avons la garde.
Rodolphe Olcèse