Un film religieux, sur un mode tragi-comique. Prendre au pied de la lettre l’idée paulinienne selon laquelle la foi est une folie pour les grecs. Il y a une jeune fille et son itinéraire singulier. Pierrette. Une petite pierre. Une petite pierre impossible à ouvrir. Elle va pour se cloîtrer, et alentour, elle voit progresser la folie des hommes. Elle veut se cloîtrer très religieusement. Elle se demande. Cette foi, la sienne de foi est corrélative de son inaptitude à habiter le monde. Elle est idiote. Elle est un exemplaire unique. Elle parle une langue étrangère. Elle a des mots bien à elle, pour dire quelque événement qu’elle seule peut entendre. Elle a quelque chose d’absolument non partageable. Elle est close sur elle-même. Elle ne peut se dire sans exprimer à la fois que rien, dans son entourage, ne lui correspond. Elle est comme un cloître en abrégé. Le cloître, ce seul endroit où elle peut être elle-même. Le cloître, ce refuge. Le cloître, ce rempart. Une petite chambre noire qui la pourra protéger de cette folie des hommes. Une petite chambre noire où veut s’épanouir sa folie de personne.
Le récit est classique, et de facto, il offre une belle occasion d’en découdre avec le narratif. Comme il donne prise ! L’accident, la rencontre amoureuse, la révélation. Cette évidence du récit donne peut-être toute une matière à l’expérimentation, cette évidence du récit, ce peut être l’image qui revient par derrière, plus forte d’avoir été par l’écriture occultée.
L’image et le son, mais considérés distinctement. L’image et le son, mais séparés. Faire des enregistrements de son direct pour le désynchroniser. Faire le temps trébucher par moments. Etranges coïncidences, singuliers entrelacs entre le réalisé et les chutes de Pierrette. Des chutes bien avérées, et les pieds qui vont, nus, ensanglantés. Des décalages, des tremblements, des sursauts qui touchent les yeux et les oreilles, l’image qui se réveille, l’image qui n’est pas morte et qui nous le dit. Pierrette, un personnage imprévisible qui ne rentre pas dans les cases, et pour l’exposer, elle imprévisible, des éléments filmiques qui ne s’imbriquent pas les uns dans les autres, qui résistent les uns aux autres. Ce besoin qu’à l’image d’être malmenée par le son pour se montrer en vérité.
Défaire le film pour faire des images. Suivre le fil de la narration et mettre le film en danger. Deux postures à tenir ensemble. Ecrire des dialogues qui forcent cette narration, y mettre des événements qui violentent l’idée même de progression. Déplacer le lieu de la subtilité cinématographique. Injecter de l’histoire dans le film. L’histoire, quelque chose qu’il faut non pas raconter mais pétrir.
Injecter de l’histoire pour donner de la matière. Travailler cette matière au couteau. Trancher dans les plans, dans le film, dans le dit. Des doigts coupés. Des doigts coupés comme motif narratif. Couper deux doigts, brutalement, sauvagement pour mettre des éléments en place, pour engager du mouvement. Forcer les correspondances pour être libre devant l’image.
Donner une voix au scénario, commencer par un film parlé, une pièce radiophonique. Alors il sera temps de faire des images.
Un tournage, un tournage véritable, mais tout en légèreté. Imposer le fait que la caméra seule est essentielle, que seule elle décide du film.
Ne pas transiger, ne pas discuter.
De la pellicule avant toute chose. Des optiques. Une image carrée. Ou presque. Un soleil éclatant, qui fait violence à la pellicule. Des plans brûlés pour une Pierrette qui d’amour fou se consume. Perdre les images de vue. Faire des images, et attendre qu’elles soient révélées. Découvrir un écart entre ce que nous voulions et ce que nous pouvons faire. Le dessaisissement comme pratique cinématographique.
Se mettre en danger constamment. Trembler que le film ne puisse se faire. Ce n’est pas du cinéma. Travailler dans l’écart entre le possible et le réel, le projeté et l’avéré, respirer dans cet écart, reprendre souffle dans le délai entre les prises de vues et les vues. Envisager le montage comme ce moment où il faut approcher des images qui nous sont devenues étrangères. Accepter l’idée que le film peut et doit être autrement que nous ne le souhaitions. Devoir s’approprier des images que nous aurons pourtant faites.
Faire tout le film reposer sur la fragilité, la fragilité de ses matériaux, la fragilité nôtre. Prendre le film comme une difficulté insurmontable, avoir peur, et foncer tout droit.
Il faut voir comme ça tremble un peu partout dans la chair.
Et laisser le regard par ce tremblé s’ouvrir.
Rodolphe Olcèse