Photographie : Les mains négatives, Marguerite Duras (1979)
C’était L’homme Atlantique, vu une seule fois, il y a des années. Le déchirement de la voix amoureuse, le geste qui naît en nous, d’épouser ces yeux qui regardent la mort, en face. On nous rend l’amant (l’image), le regard de l’amant, son extinction. L’homme atlantique, dérobé par le noir, de plus en plus profondément, immergé dans l’océan.
Noir, sans image. Mais la voix, l’appel.
Puis, c’était Les mains négatives, montré à ce seul spectateur, ce soir-là. Parcourir ensemble les rues de la ville où il était né, l’année d’avant sa naissance, ces rues encore sales, à peine réveillées, et dévorées d’amour. Un amour de l’anonyme, du semblable inconnu, par le film nous emportait. Marguerite prononçant les mots indécomposables : Je t’aime.
Je t’aime. Une totalité en manque. Oui, je t’aime, quand aimer c’est donner ce qu’on n’a pas.
C’était l’amie cinéaste, par nos jeunesses parfois désespérées. Ce film somnambulatoire, fait de pudeur exquise et d’audace ardente. Fait surtout d’ignorance, de désir, de rêve. La voix de l’amie portant les images, délicatement, fermement portant nos danses, et la présence, à la fois impérieuse et fragile, (qu’elle) m’avait poussée.
Donner, par-donner, et rendre possible, par le cinéma. Exister par ces images, ne pouvait être que l’acte d’amitié, la fécondité douloureuse d’un dialogue, les miroirs se défaisant pour laisser place au lieu précieux, au mouvement émancipé, au film.
C’était l’ami cinéaste. Par tous ces instants impossibles, ces instants de cinéma qui n’ont jamais existé. Par ces trop tôt ou trop tard. Par ce film à refaire, en quelque sorte, à deux : Les hautes solitudes. Son visage, mon visage, le silence. La durée. L’acte de filmer l’autre, de filmer la relation, de s’adresser par et dans le cinéma. Devenir passeur, il dit, cet aller vers et ce faire passer à travers : Ingrid Bergman, qui voit Rome : ville ouverte et part à la rencontre de Rossellini. Depuis, pour Rosellini, elle devient cinéma, il devient passeur.
C’étaient Yves et Annie, dans Le moindre geste. Et avec eux, toutes ces voix déterrées par ceux qui font du cinéma et savent qu’ils parlent pour tant d’autres, silencieux.
Yves, le caillou d’Yves, qu’il sort de sa vieille chaussure, au bord d’une route, et tend à la jeune fille, grande et maigre, sauvage, qui le prend sans hésiter. Ce caillou, cette énigme. Cette pierre à permettre, trouvée par un fou, qui nous l’offre.
Violeta Salvatierra