Comme le cinéma, qui est peut-être l’une de ses modalités, la promenade demande à la fois espace et temps. Elle veut un lieu où puissent s’épouser le hasard et l’intention. Elle demande aussi que nous lui consacrions du temps, pour ne pas tourner en pure fuite ou déroute. Que nos déambulations nous trouvent inquiétés ou soucieux, et voilà qu’elles se changent en une errance qui, pour ne nous accorder ni paix ni indolence, fait se volatiliser la flânerie où nous pensions être. Pour que nos promenades aient lieu, nous devons nous rendre disponibles, dans un espace qui nous redonne cette vacance d’esprit initiale grâce à laquelle nous avons pu venir à lui. Gratuité et générosité sont intrinsèquement attachées à l’idée de promenade.
Pensée en premier lieu sous le signe du voyage, et plus singulièrement du voyage raté (à partir d’Uyuni, film d’Andrés Denegri), la promenade manifeste son aptitude à entretenir le désir de faire des images lorsqu’elle se comprend comme disponibilité au monde. Raphaël Bassan, interrogeant le cinéma de Joseph Morder, veut montrer comment la vacance l’anime tout entier. Il situe ainsi son propre itinéraire de critique relativement aux films qu’il évoque. S’il peut le faire, c’est que les films, en nous faisant partager cette disponibilité à partir de laquelle ils nous viennent, sont aussi un lieu où nous pouvons nous comprendre et nous décrypter nous-mêmes. Il y a quelque chose de cet ordre dans le texte de Fabrice Lauterjung, qui va de formes en formes, pour explorer, à l’occasion d’une exposition d’art contemporain, de nouvelles possibilités du médium, jusqu’à rencontrer, dans la flânerie où il est emporté, une figure pour le moins inattendue – et pour cause – de l’histoire de l’architecture, pour indiquer in fine la violence inhérente à son projet.
Tout film est en lui-même un lieu où notre esprit peut vagabonder. Violeta Salvatierra laisse le sien se traduire en poésie, pour donner quelque chose à voir des images rencontrées dans Forest of Bliss de Robert Gardner. Des sentiers quelques peu extérieurs au cinéma ont également été parcourus, en direction d’une pratique qui le concerne absolument, celle du photographe tchèque Miroslav Tichý. Enfin, les vers d’Orlan Roy, ouverts par les images du suaire et de la mort, nous signalent une vacance ultime qui nous fera voyager Dieu sait où…
Puissent les textes ici réunis nous convaincre de sortir à nouveau dans la fraîcheur de l’automne, et de fréquenter les parcs, les rues et les cinémas, où tant de choses ont encore besoin de notre attention pour se laisser dire.
Rodolphe Olcèse