Extrait de Carnet de route

par Orlan Roy

La mort comme suaire.

La mort comme masque et chair — qui prend les tournants les plus
habiles pour s’incruster comme une lancinante question :

parfois cette question. Parfois cette question.

Difficile de se faire à l’idée d’une victoire — c’est porter en
soi cette nécessité de se confronter au corps social pour mieux
le sentir, c’est rebondir contre ses pavés —
au corps aimé, mon amour, c’est plonger
dans ton amour

au corps, au corps tout court,
au corps du monde — avec cette lancinante question
de la mort — c’est quoi, toi, ici, maintenant
et son étonnant pourquoi

C’est justement ce qu’on doit découvrir —
en parcourant, en chantant, en dansant, en jouant, en souffrant,
en jouissant, en dormant, en rêvant, en passant, en mourant, cette
durée vive — la brûler
comme un tabac, alcool, photogramme

Justement en prenant sa peau, en l’étirant jusqu’à
découvrir les os — leurs membranes gelées — les membres
jusqu’à la glace — avec notre lente brûlure qu’est
notre mort — cette membrane qu’est notre corps
comme un encens

comme un suaire
 

Alors maintenant que la mort c’est fête
et que la mort, c’est, entière, qu’elle habite
nos drames — Alors maintenant on peut voyager
On peut tanguer et se balader — s’éprouver

Ce corps perdu — que vous êtes — c’est un vin c’est un suaire
Ce corps perdu, c’est un immense mystère — pendant ce temps
qu’il vit, quelque chose s’élance et
c’est le sang qui voyage déjà
plus vite, plus vite — avec des surfaces,
dans des échanges inconnus et connus —
des Orchidées qui respirent — des tamariniers qui tremblent
et dans la forêt en sueur de nos âmes qui n’en sont pas,
du moins en songe, il y a la trace chaude,
comme une lave en dessous, mais c’est au dessus,
il y a des veines comme des silences, il y a
l’existence comme un point — il y a un regard
Qui part de tout ça, qui va on ne sait où,
qui va plus loin, quelque part dans un bâtiment
d’administration marron ou un bateau de bois et d’acier
qui tangue, il y a, pendant ce temps-là,
un soubresaut, une permanence de telle histoire
ou telle histoire

— cette question et cette question qui se balancent
comme deux poids, l’un vers l’autre, l’un vers l’autre
comme les deux boules d’un pendule immense — tac, tac
Il y a un morceau du drap du monde sur nos têtes :
pourvu qu’on l’imprime ! — tant qu’il est encore temps.

 

O. Roy
extrait de Carnet de Route, 4 nov. 07 (même nuit.)

Photographie d’Aflah Bekkaye, prise lors d’une promenade en France.

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