Jdm, Entrées de secours

par Rodolphe Olcèse

Entrées de secours, Jerôme de Missolz (1983)
 

En 1983, Jérôme de Missolz réalise Entrées de secours, film construit autour de groupes légendaires du milieu punk et underground d’alors : Devo, The Stooges, Public Image Ltd, et quelques autres. Pourquoi rappeler l’existence de ce film aujourd’hui, si tard, en ces jours où ces icônes rock, par quelque opération magique de la modernité, par quelque geste précis de la publicité, ont quitté les caves pour gagner les lieux les plus symboliques d’une société de consommation dans le rejet de laquelle le punk s’est constitué ? Peut-être pour cette raison précisément. S’il doit y avoir des entrées de secours, c’est qu’il y a une urgence. L’urgence d’apercevoir, avant leur perte dans l’hyper-exposition des corps et figures qui ont brûlé de donner leur musique, de se donner dans leur musique.

Entrées de secours, c’est une manière de situer, de manière visuelle ou sonore, les groupes rock dans le lieu qui peut les voir naître et vivre. Le métro, les cafés et leurs flippers, les parkings souterrains, les toilettes publiques de ce qu’on imagine être une salle de concert. Entre accélérations et ralentis, c’est une ivresse qu’il nous est donné de revivre. Par là, nous pouvons toucher à un moment de l’histoire du rock qui se sera joué sans nous, trop tard venus.

La ville, ce lieu paradoxal. Les passants qui s’affairent dans les couloirs du métro pour rejoindre leur lieu de travail se disputent le même espace, celui du film, que cette jeune femme qui s’exhibe dans les couloirs des w.c. Pour elle, le film a du temps et découvre une patience, contrastée par les impressions de précipitation qui peuvent surgir dans telle ou telle autre séquence.

Entrées de secours nous montre à quel point un corps peut se consumer dans un acte de présence. Ainsi le visage de Johnny Rotten, se dilatant et se contractant sous l’effet conjugué des projecteurs, du mouvement de la caméra et du défilement de la pellicule. Cette scène qui ferme le film, et en un sens l’ouvre à sa dimension véritable, est le lieu d’un paradoxe proprement cinématographique : voir un visage crépiter, pris dans une posture quasi mystique, sur un fond sonore qui en dénonce la possibilité.

Il faut cette radicalité du traitement de l’image pour répondre avec justesse à la radicalité de l’événement saisi. Nous ne pouvons pas filmer avec neutralité ce qui ne l’est pas, ou alors, c’est autre chose que nous filmons. Le film traduit avec ses moyens une aventure qui se joue hors de lui. Ce n’est pas dans le film seulement que le chanteur se consume et disparaît, c’est sur la scène. Et la caméra est tournée vers cette scène, pour capter les éclats qui en jaillissent.

Parmi les mille sentiments que distille D.O.A de Lech Kowalski, il y a celui-ci : ce qu’ont pu dire à la jeunesse les groupes punks de la fin des années soixante-dix, c’est que la musique est leur affaire, c’est qu’elle les concerne personnellement, c’est qu’ils peuvent et doivent la jouer eux-mêmes et pour eux-mêmes. Entrée de secours porte, à sa manière, un message comparable. Le cinéma, c’est notre affaire, nous pouvons et devons le faire nous-mêmes et pour nous-mêmes. Après avoir vu un tel film, nous nous disons qu’à notre tour nous pouvons, vingt ans plus tard, embarquer une caméra super 8, et nous saisir d’un concert punk pour faire des plans. Vingt ans, ce temps nécessaire pour que la jeunesse puisse être hors d’elle-même.

 

Rodolphe Olcèse

Celluloid heroes, Jerôme de Missolz (1977)

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