Un anniversaire pour prendre date, en actes
Collectif : à l’heure de l’individualisme
Jeune : à l’époque où la structure a 50 ans, ce qui n’est plus tout à fait jeune
Cinéma : à évaluer au moment où les technologies de l’image prennent le pas
Collectif
L’anniversaire du Collectif Jeune Cinéma suscite quelques réflexions, lancées à tous ses membres. Est-il donc raisonnable de jouer le « collectif » alors que la société ambiante nous incite à l’individuel et aux actions personnelles ? Le CJC est l’un des héritiers des années 70 où il fallait se serrer les coudes pour faire front et diffuser des films en marge.
La structure est née de plusieurs énergies dont celle de Marcel Mazé. Mais dans les années 80, c’est Jean-Paul Dupuis qui la perpétue alors que Mazé est accaparé par son travail alimentaire à l’AFP. C’est à ce moment que je rencontre le CJC et y dépose des lms. Puis on comprend bien que Jean-Paul Dupuis veuille récupérer sa liberté de cinéaste pour travailler sur ses réalisations car peu de gens sont vraiment actifs dans la structure. Il n’y a qu’aux AG qu’on retrouve un peu de monde. On y échange et on y discute parfois si fort que les questions pratiques passent à la trappe.
Les énergies se relâchent. Puis le CJC déménage, les copies se baladent… Mais l’énergie repart lorsque Mazé prend sa préretraite et se réinvestit en encourageant des jeunes à s’intéresser au cinéma différent, au collectif, à l’organisation plus offensive et structurée. Son charme naturel attire de nouvelles recrues. Il y a des projections régulières, on se côtoie, on discute. Le CJC semble se réveiller au fil des déménagements successifs. Ce qui m’encourage à y remettre des films. L’heure est au numérique qui favorise les expérimentations, à moindre coût avec de nouvelles possibilités techniques. Le Festival des Cinémas Différents motive de nouveaux dépôts. Le CJC redevient une structure gérée. Mais les moyens manquent pour pérenniser ses administrateurs. Car le temps a passé et la mobilisation n’est plus ce qu’elle était.
Jeune
La « jeunesse » du CJC s’est envolée mais la structure est vivace. Même si le festival permet de générer des énergies nouvelles dans l’organisation, ce sont toujours les mêmes anciens (dont je fais partie) qui se retrouvent. Puis des jeunes s’investissent dans l’animation du collectif. Les questions tournent et retournent car la gestion d’un collectif de distribution est dif cile. Les fonds réguliers manquent cruellement. Les institutions qui pourraient nancer sont dans l’économie. Et l’économie paraît aller toujours plus mal. Surtout pour la culture, et pour ce qui est différent, comme les films du CJC. L’époque est devenue comme plus étrange depuis le décès de Marcel Mazé. C’est l’âge de la maturité où les plus anciens passent à autre chose, en persistant parfois à persévérer. Car le goût des œuvres différentes demeure et défie l’air du temps.
Le « cinéma » a changé et sa diffusion aussi. On ne projette plus les films, on les numérise. Malgré quelques exceptions notables dues à des acharnés, on ne tourne plus en argentique mais en numérique. Les copies se font fichiers, liens. L’image se dématérialise. On diffuse à la sauvage, à la carte, n’importe quand, pour n’importe qui. Une structure de distribution collective est-elle donc encore de mise ? Non, répondrait-on logiquement. Oui, répondrait-on avec un militantisme peut être irréaliste. Car il ne suffit pas de faire allégeance à une époque pour la faire progresser. Alors se regrouper pour défendre et renforcer la visibilité d’un cinéma différent, cher aux fondateurs et à plusieurs membres actifs, prendrait sens. Défendre une idée d’organisation collective de la distribution semble une ouverture pour assurer la propagation de ce cinéma différent, hors norme, indépendant, que l’on pratique par inspiration, engagement, désir de recherche, d’évolution, de liberté. Un combat qui devrait continuer encore longtemps.
Cinéma
L’anniversaire du CJC est alors une tentation à réfléchir ce modèle, à le discuter, à l’adapter.
Car la société qui évolue ne peut accueillir du même œil (critique) le Collectif Jeune Cinéma. L’indépendance des cinéastes qui le constituent, doit s’affirmer, se structurer davantage, s’organiser autrement, se réinventer sans doute. Il y a ceux qui créent des œuvres expérimentales, sans savoir ou pouvoir gérer leur diffusion. Et il y a ceux qui sont capables de gérer la distribution des films, sans savoir ou pouvoir en créer toujours. Artiste et gestionnaire ne sont pas souvent confondus et leurs champs de compétences sont différents. La collaboration serait donc productive si l’œuvre des artistes, amateurs ou professionnels, pouvait être relayée par des organisateurs, plus performants s’ils sont professionnels. Sans que le dialogue entre les cinéastes et celui des organisateurs ne cesse de se renouveler. Il s’agit de trouver de nouveaux moyens de diffusion, des plateformes indépendantes, des VOD interactives, des liens inédits, des lieux inusités pour révolutionner les échanges… Car posséder un catalogue imposant de films ne suffit pas à le rendre lisible ni attractif. Surtout si les organisateurs de la structure ne peuvent tout connaître de la masse des films produits. Faute de personnel, de temps, de moyens. Il serait impératif de trouver des fonds venus d’ailleurs pour survivre et s’épanouir. Cotisations, pourcentages sur diffusion, mais surtout de nouveaux partenariats engagés avec d’autres institutions, des partenaires privés…
Tous les moyens sont bons pour faire rayonner les nouvelles images du cinéma différent.
Cette différence est peut-être sa faiblesse mais elle peut être sa force. L’essentiel est de ne
pas faire de compromissions mais des avancées, des conquêtes. Quitte à faire exploser les formes, et les modes qui freinent les initiatives et les imaginaires.
Il est temps de réagir, d’agir.
Bon anniversaire au CJC.
Michel Amarger
Réalisateur. Membre du CJC. Journaliste et critique de cinéma.