Acheminement vers un cinéma hors-les-normes

Focus n°12

Sun 18 October 201518.10.15
18H00—20H00
Les Voûtes

Programmed and presented by Théo Deliyannis and Florian Maricourt

On the bangs of cinema’s dominant circuits, there are men who look at the world with an eye that escapes us, practicing images in reverse, without the habits and customs of the milieu. In search of them, this screening takes the path of a cinema that might be said to be outside the norm, offering a series of modest, naive contemporary films made by singular artists.

La Lumière
Sandrine Tamimy and Atelier Vidéo du CATTP de Montrouge
France
2013
Digital
3'30
Lent Retournement Du Soleil
Philippe Ectors and Club Antonin Artaud
Belgium
2009
Digital
9'
Carta a Bruselas
Rafaël Loa Diaz and Club Antonin Artaud
Belgium
2004
Digitized video
2'20
Ma Chope à Quatre Pattes
Rafaël Loa Diaz and Club Antonin Artaud
Belgium
2004
Digitized video
2'50
Fenêtres
Sandrine Tamimy and Atelier Vidéo du CATTP de Montrouge
France
2013
Digital
2'20
Lettre à Dieu
Emmanuel Vanderheyde and Club Antonin Artaud
Belgium
1999
Digitized video
3'20
Mes Bonnes Années
Dominique Nelh and Centre d’activités du 4e SPG
France
2002
Digitized video
5'10
Ce que j'ai dans la tête
Dominique Nelh and Centre d’activités du 4e SPG
France
2004
Digitized video
7'50
Les Petites Choses
Dominique Nelh and Centre d’activités Arc-En-Ciel, Centre Psychothérapique de Nancy
France
2010
Digital
5'
Partir Ailleurs
Dominique Nelh and Centre d’activités Arc-En-Ciel, Centre Psychothérapique de Nancy
France
2014
Digital
5'50

« Bientôt nous allons voir
toutes sortes de lumières.
La lumière telle quelle
et les rayons tels quels.
Un spectacle éblouissant.
Un spectacle
extraordinaire. »

Avec La lumière, qui ouvre la séance, Sandrine Tamimy propose une variation poétique autour de la rencontre entre sa petite caméra et des sources lumineuses qui la fascinent. Dans ce film personnel – le premier de ses « films de chambre » –, les scories de l’appareil d’enregistrement sont recherchées pour telles. Suivant par le mouvement de sa main les rayons de lumière produits par sa machine, elle tente de poursuivre « l’apparition » magique. Le filmage documente ce qui nous intéresse ici : la relation entre un cinéaste et son outil, en même temps qu’il devient, par le pur jeu, le moyen d’une révélation divine. Son autre film, une succession de plans de Fenêtres, sur une chanson de Jacques Brel, annonce encore l’ambiguïté des films à venir, entre enfermement et émancipation (des corps et des formes).
Chant incantatoire pour un Lent retournement du soleil, le film de Philippe Ectors est une danse mystique chorégraphiée avec précision. L’équilibre fragile de l’exercice tient dans l’alliance réussie entre la démarche chaloupée de notre homme – la forte symbolique des gestes – et la bande-son magique, où la voix réverbérée d’Ectors, qui fit une brève carrière de chanteur au début des années 1980, fait penser à celle de Taminy : « C’est un pas magnifique vers la libération. C’est une prière aux cent mille questions ».
Peintre très prolifique, qui est, paraît-il, quelque peu exposé dans les milieux de l’art « en marge », Rafaël Loa Diaz a aussi réalisé des films d’animation foutraques en pâte à modeler. Carta a Bruselas, tendre lettre d’amour à Bruxelles, vaut pour l’amoncellement quasi-érotique de ses personnages hauts en couleurs, mais c’est Ma chope à quatre pattes qui donne la pleine mesure de son art. Sonorisé face aux images préalablement enregistrées, en improvisation et en une seule prise, le film prend l’allure d’une ode à la libération des formes où l’anarchie joyeuse de ses sculptures en pâte à modeler le dispute à la bande-son, poésie sonore délirante et jubilatoire : « Dépêche-toi pour vivre, dépêche-toi pour mourir ».
Dans son film d’animation qui est véritablement une Lettre à Dieu, Emmanuel Vanderheyde prolonge l’interrogation mystique de Taminy et d’Ectors avec un essai épistolaire composé d’une suite harmonieuse de dessins spirites et psychédéliques mis en mouvement par un effet de vagues ondulations. S’adressant directement à Dieu, il lui demande ce qu’il y a après la mort, avant de se montrer plus prosaïque : « Bonne chance à toi. Ne t’en fais pas car Dieu n’est qu’un homme contrairement à ce que l’on peut croire. J’ai ma propre vie comme toi la tienne. Salut Dieu ».
Fort d’une culture visuelle éclectique et dysharmonique, construite grâce au vidéo club que tenait son père, Dominique Nehl n’hésite pas à mélanger les genres dans ses films hautement personnels. L’ensemble de son oeuvre – quatre films formant un tout cohérent – ne manque pas d’originalité. Initié à l’image grâce à une caméra Super 8 qu’il reçut en cadeau ; il a d’abord créé des montages audiovisuels en dessinant luimême sur des diapositives puis en sonorisant ses diaporamas. Devenu grand, souhaitant raconter son histoire mais ne sachant comment l’écrire, il se tourne logiquement vers la vidéo. Ses images sont méticuleusement composées après l’écriture préalable du texte qui constitue un fil narratif logique. Son cinéma prend la forme de lettres adressées au potentiel spectateur. Mélangeant allègrement son histoire personnelle à des références à la culture populaire (on notera le remploi d’images de toutes sortes, en plus de ses propres plans et dessins), Nehl propose un cinéma hybride qui échappe aux canons du genre épistolaire. L’utilisation d’effets spéciaux et de trucages visuels (incrustations, accélérés, voix vocodée) mêlés à l’humour tranquille de son personnage donnent à ses films une dimension très simple et naïve, qui évite à ses histoires de basculer dans un lyrisme par trop pathétique. Dans Mes bonnes années et Ce que j’ai dans la tête, il évoque son parcours personnel, son histoire familiale ainsi que ses joies les plus simples. Affecté par la mort de son père, son cinéma se fait plus sombre à partir de Les petites choses, puis avec Partir ailleurs qui racontent son enfermement et son désir de quitter les hôpitaux. « Je veux partir d’ici. J’en ai ras le bol. Je veux me retrouver seul. Je veux me retrouver libre. […] Mon but avec mes films c’est pour sortir de l’hôpital ».

Si la recherche d’un cinéma différent, qui s’affranchirait complètement des manières du milieu – fût-il « expérimental » – nous a conduit à examiner des films réalisés dans le cadre d’« ateliers », loin de nous pourtant l’idée de proposer des films de cinéma-thérapie. Dans le vaste ensemble des « films d’atelier », qui peut constituer un premier champ de recherche pour qui voudrait trouver un cinéma hors-lesnormes, seuls les films les plus personnels nous ont semblé intéressants. Les films les plus collectifs sont toujours rattrapés par le plus conventionnel tandis qu’il se trouve des pépites dans l’ouvrage de quelques individus, lorsque ceuxci s’emparent de la caméra et des images pour fabriquer des films de la plus grande invention. Cette séance inaugure une série de programmations à venir en quête d’un cinéma hors-les-normes fait par des hommes du commun, en dehors des circuits dominants.

— Florian Maricourt

Nous remercions tout particulièrement Daniel Simonnet et MediaPsy Vidéo, Benjamin Francart et le Club Antonin Artaud, ainsi que Reynald Halloy, et Philippe Establet. Et bien sûr tous les réalisateurs qui nous ont permis de projeter leurs films.

Loading