« Les fous, les criminels et les poètes ont une seule et même mission : assurer à la société un minimum d’insécurité. » Friedrich Hölderlin
« Ce film n’a pas l’intention d’ériger un discours critique élaboré sur des bases érudites ou selon des questions contestataires sur nos sociétés actuelles (et de nos moeurs qui en découlent). Il vise une critique instinctive, pulsionnelle et libre à propos de problèmes divers et sociaux.
Ce film est dénué de codes, de dogmes et de limites : il ne renie ou n’encense aucune règle classique. Cette visée instinctive critique a été choisie pour mieux représenter le déploiement affectif, expressif et symbolique du “ protagoniste ” : un personnage à la fois anonyme et collectif, gangrené et traversé par ce qui nous empêche de vivre. Puisque vivre dans la légalité n’est pas vivre, mais mourir à petit feu : perdre tout sens aussi bien perceptif que critique. Ce film veut être une analyse du rapport des images entre-elles, malgré elles ou en leur faveur. Aussi il se définit et s’assume comme patchwork d’images pré-existantes, pour mieux revendiquer un état d’esprit “ pirate ”, fondé donc essentiellement sur la récupération et la substitution, dans une logique aussi bien formelle qu’économique. » (Avertissement ouvrant le film)
« J’ai toujours aimé les aliénés, les psychopathes, les dégénérés, les ratés, les anormaux, les infirmes, ceux qui cherchent la mort et que celle-ci évite, en un mot, les fils pauvres et déshérités de Satan, et ceux-ci, à leur tour m’ont aimé. » Stanislas Przybyszewski, Mémoires
Mr. R. tue. Sa communication ou ses rapports palpables avec les êtres sont dénaturés par l’argent, qu’il touche chaque jour par sa fonction professionnelle et sociale (agent comptable). Tous ses plaisirs, ses fantasmes se projettent dans le meurtre. Son quotidien intime et professionnel va progressivement de pair avec les crimes commis, jusqu’au jour où il rencontrera une apparition trompeuse, une blonde pulpeuse, sirène artificielle née de son propre imaginaire, celui parfaitement normé que la société marchande lui a conçu.
« Je le répèterai sur tous les tons, le monde n’est habitable qu’à la condition que rien n’y soit respecté.» Georges Bataille
Playdead est un premier long métrage d’une durée de 100 minutes, fiction expérimentale entre art vidéo et film d’horreur, dont l’ambition est de rivaliser avec les productions de série B que j’affectionne, mais à l’aide de moyens précaires transfigurés par des idées formelles expérimentales. Essai pop, baroque et pirate autour d’un serial killer, mais aussi oeuvre hybride qui repose au départ sur cinq supports (Super 8, super 16, Hi 8, Mini DV , DV CA M).
Film prométhéen par excellence, postulat ambitieux démesuré, défi « impossible » à relever, contre le regard du spectateur, conformé uniquement aux productions du cinéma dominant. Par conséquence, Playdead est un film « mort-né », d’autant plus qu’il ne peut être distribué, à cause de son utilisation illégale de fragments sonores et visuels, de musiques, mais aussi de lieux pour lesquels aucune permission n’a été demandée.
« Et tout commença donc par une question de production. Playdead a cherché à arracher ses presque 2h30 de métrage [avant d’avoir été remonté cette année pour une durée de 100 min.] à une quelconque logique de production et à la mise en place des moyens financiers nécessaires à sa réalisation. Et pourtant, malgré son budget serré, nous voilà devant l’un des films les plus chers de l’histoire du cinéma. Il faudrait payer une fortune pour avoir le droit d’utiliser tous les films et toutes les musiques dans lesquels Playdead a emprunté sa matière. Playdead a donc coupé dans son budget pour coûter plus cher que tous les autres et par là même a réussi le pari de se couper de sa propre audience. » Nicolaï Maldavsky, Article paru dans Inserts no2, février 2010
Playdead (mon premier et unique long-métrage à ce jour), se voulait un manifeste formel et narratif pour contourner toutes les logiques de réseaux et de production du cinéma dominant. Et cela en mélangeant les deux genres les plus artisanaux, et peut-être créatifs du cinéma, que sont le cinéma « bis » et l’expérimental tout en leur rendant hommage. Mais je me suis mordu la queue. Tout le monde s’en fout ! Et puis, au fond, tant mieux !
C’est un film « mort-né » qui prouve que sans producteur, sans argent, la curiosité des indépendants ou des marginaux est illusoire et que les beaux parleurs, faussement dissidents, ne sont rien d’autre que des ambitieux aigris et mondains qui ressemblent fortement à ceux qu’ils critiquent. Mes films, depuis Playdead, des « coulisses » à l’objet fini, m’aident juste à y voir plus clair comme un double qui m’aiderait à voir ce que je ne veux pas voir. C’est pourquoi je continue à faire mes films avec mes amis qui, d’ailleurs, n’ont souvent rien à voir avec le milieu du spectacle audiovisuel, que ce soit de près ou de loin. Mes amis me construisent autant (et même plus) que mes films. Heureusement…
« Qu’on me donne un point d’appui et je déplacerai la terre. » Archimède
Playdead est composé de plus 1500 fragments sonores et visuels intégrés au montage. Par des inserts de films préexistants, construire une identité figurative à l’image du psychopathe. Ces fragments apparaissent comme des fantômes qui rôdent autour d’un corps en perdition, celui de Mr. R. et de ses victimes.
« […] autant de langages qu’il y a de désirs : proposition utopique en ceci qu’aucune société n’est encore prête à admettre qu’il y a plusieurs désirs. » Roland Barthes, Leçon
Ne pas perdre de vue que la société capitaliste substitue une valeur marchande à l’individu. Seul un être de cinéma peut dénoncer cette déduction critique aujourd’hui : le psychopathe. Il est à la fois le vestige et le protagoniste par lequel le réalisateur peut livrer ses angoisses ou sa colère critique.
« C’est précisément dans les névroses et les psychoses qu’on trouve en germe une sensibilité de type nouveau qui, jusqu’à ce jour, n’a pas encore été prise en compte par la classification ; c’est en elles que les ténèbres voient rougir l’aurore de la conscience, et que les récifs souterrains de fonds pélagiques remontent pour affleurer à la surface de la mer. » Stanislas Przybyszewski, Messe des morts
Expérimenter et éprouver la réception du quidam devant une diversité de supports et d’images dont le fil serait la trajectoire meurtrière et libidinale d’un tueur en série pour lequel il aurait enfin la permission de partager la névrose, et de la projeter, de s’y identifier ! Le psychopathe perçu comme le dernier vestige humain, le dernier rempart avant la ruine.
« Playdead serait un film fantastique qui traite des désordres psychologiques protéiformes d’un serial killer qui envahissent le film et deviennent sa respiration même. Serait… Le conditionnel s’impose, parce que le serial killer n’est pas ici, dans le film de Derek Woolfenden, un sujet vendeur comme dans Le Silence des agneaux et tant d’autres films, plus ou moins bons, là n’est pas la question.
Le serial killer est, plutôt, un motif (plastique et ontologique), une dynamique, une force dionysiaque qui convoque et amalgame pulsions, matériaux composites et quêtes diverses : formelles, identitaires, transgressives, où Eros et Thanatos sont étroitement imbriqués. » (Raphaël Bassan, La Gazette du 8e Festival des Cinémas différents du mercredi 13 décembre 2006) Le film a été remonté dix ans après par Jonn Toad, avec l’accord du réalisateur.
— Derek Woolfenden