En réponse aux réactions déclenchées par la première parisienne de son film Impatience en 1928, le cinéaste d’avant-garde belge Charles Dekeukeleire exprime son souhait de revenir à une forme de cinéma expérimental plus narratif qu’abstrait : « Impatience clôt une période de mon travail. Me sentant trop éloigné du public et des programmateurs dans ma pratique d’un cinéma abstrait, je prévois, dans mon prochain projet, d’utiliser un scénario dans un esprit plus réaliste, tout en conservant dans son histoire la plasticité sérieuse et le sens rythmique élevé que j’ai recherché et recherche encore ».
Réalisé en 1929 ‒ la même année que le chef d’oeuvre de Dziga Vertov L’Homme à la caméra avec lequel il partage un certain nombre d’innovations plastiques et conceptuelles ‒, Histoire de Détective explore les possibilités du récit fictionnel confronté à un registre formel emprunté au champ de l’avant-garde cinématographique. Énoncé comme une suite de « documents cinégraphiques » récoltés par l’un des personnages du film, ce troisième opus de Dekeukeleire opère un tour de force stylistique passionnant à travers lequel le film devient le sujet même du film et le recours à la narration un simple subterfuge.
Cette histoire de détective est d’abord celle de Monsieur T., enquêteur professionnel et cinéaste amateur engagé par Madame Jonathan afin de comprendre les multiples absences de son mari, Monsieur Jonathan, atteint de neurasthénie et dont le comportement inquiète sa femme. De Bruxelles à Ostende, en passant par Bruges ou encore Luxembourg, Monsieur Jonathan tente de surmonter l’ennui d’une vie citadine étriquée et bourgeoise. Convaincu que seul le cinématographe est capable de percer le secret de son comportement énigmatique teinté de mélancolie profonde, T. le poursuit dans ses faits et gestes, posant le regard de sa caméra sur le fait quotidien tout autant méconnu que refoulé.
Prise en charge par un montage proche du collage d’inspiration surréaliste, dont la seule logique semble être régie par le jeu des associations mentales du détective et des nécessitées de son investigation, la trame narrative se retrouve désarticulée au profit d’une série d’expérimentations instituant la caméra, instrument d’investigation par excellence, en personnage principal d’une enquête riche en rebondissements.
- Jonathan Pouthier