La quasi totalité des mouvements artistiques du 20e siècle, depuis Dada et le surréalisme puis l’art contemporain, le Pop art, l’Art conceptuel, l’Arte povera et bien d’autres, feront entrer l’objet récupéré-déchet-rebut dans le vocabulaire plastique. Tous les mouvements mais également toutes les pratiques, sculpture, installation, performance, etc., utiliseront / réutiliseront objets et matériaux « hors d’usage ». Des objets-déchets-rebuts porteurs d’une double charge par leur origine industrielle d’une part, leur fonction, leur esthétique, leur contexte historique, et d’autre part la trace d’un usage – d’une usure –, d’un parcours, d’un « vécu », d’une histoire.
Daniel Spoerri en est l’artiste le plus représentatif par sa pratique des « tableaux pièges », des collages d’objets après usage sur un support à la place qu’ils occupent. Les restes d’un repas, aliments et couverts, collés sur une table par exemple. Son film Résurrection présenté dans ce programme permet d’élargir le thème du déchet à la déjection, au sale, au caché. Le « sale », l’in-montrable, les fluides corporels mis en scène dans les films de Christian Boltanski ainsi que dans le film Rouge de Alice Heit.
La performance Le déjeuner sous l’herbe de Daniel Spoerri consistait en un repas, un pique-nique à la fin duquel tout ce qui restait, nourriture et ustensiles, furent enterrés à l’emplacement même du repas. Quelques années plus tard une deuxième phase de cette performance a consisté à retrouver, avec l’aide d’archéologues, des restes enterrés du repas-performance. Dans le film Excavation, Avi Dabach filme le travail d’archéologues où ce ne sont plus des restes d’un repas-performance qui sont mis au jour mais des objets du quotidien extraits des ruines d’une maison bombardée.
Là où le titre de la performance de Daniel Spoerri se référait au célèbre tableau d’Edouard Manet, Vague baignoire de François Gagelin reprend la scénographie du tableau La mort de Marat de Jacques-Louis David en la déplaçant dans une décharge. Vanité moderne, méditation sur ce que deviennent toutes choses, les objets et les corps. Des œuvres d’art possiblement recyclables aussi par la pratique de la citation.
Pour le film Mothlight, Stan Brakhage délaisse la prise de vue classique du réel avec une caméra pour coller des objets réels, des ailes d’insectes, à même la pellicule. Une vision où le morbide et le sale rejoignent le merveilleux. D’une grande virtuosité formelle, L’Île aux fleurs de Jorge Furtado est une magistrale leçon d’économie, mélange d’humour et de gravité, réflexion sur la production, la consommation, l’économie et toute la chaîne humaine liée à la nourriture. Le végétal, l’animal, l’humain et les chaînes sociales qui les lient. Ce dernier film est à mettre en écho avec le film Stock Exchange qui montre l’artiste performer Denis Oppenheim récupérer les papiers qui jonchent le sol d’une salle de la Bourse en fin de cotation. Quels sont les liens entre ces papiers et le monde réel ? Des traces, des représentations virtuelles d’objets produits, échangés aux quatre coins du monde et qui suivront le cycle production / déchet. Un extrait de la performance Smashing de l’artiste américain Jimmie Durham conclut ce programme comme un pied de nez. Au cours de cette performance Durham détruit, et dès lors transforme en déchet, des objets apportés par les spectateurs.
- Gérard Cairaschi