L’amour, de leur côté

par Kantuta Quirós

Ici gît le peuple des hommes.
Il y a quelqu’un ?
Je m’enfonce dans cette matrice de verdure. Je veux, je veux entrer, pour toujours entrer dans le peuple des hommes.
Pays interdit, veux-tu de moi ?
Mon corps est-il en trop ? Jaloux désir, obscène pensée. Je suis l’aimeuse en série de ces avenues interlopes.
Front blême, et joues poudrées, je traîne l’obscénité de mes sentiments de cristal./

Les cœurs gonflent, gorgés de cris d’insectes et d’oiseaux. Le labyrinthe geint. Ses méandres recèlent des foules secrètes et clandestines qui vibrent selon des rythmes dont les combinaisons ne regardent que les dieux du Carrousel./

Comment s’unir ? Vers quel nouveau bal vous rendez-vous ?/

Tu danses, tu danses.
Il est là le peuple fantôme, qui t’entoure, t’enserre, farandole charnelle, palpitation cardiaque.
Tu voudrais t’y mêler peut-être, t’y mélanger ? Je me trompe ?
Tu avances les yeux clos, tu transpires, tu te diriges vers le cercle sacré, la spirale, le cœur bleu de tes rêves.
Tu t’enfonces. Que veux-tu donc attraper ?
S’agit-il de leur sexe que tu ne saurais nommer ?
Crache, expulse ce nom qui t’échappe, ce nom qui te diffame/dit femme, ce nom qui t’enflamme. Est-il de pure porcelaine, est-il fait de la sueur de tes nuits ?
Je ne saurai te dire, tendre amie qui partage mon rêve. Tu es là, tu avances, toi qui m’es conjointe.
Cette différence reconduite mille fois, cette différence vaut-elle la peine, vaut-elle ta peine ?
Je l’ignore. Continue ta route, trace tes trajectoires. Eructe encore la liqueur de tes nuits.
Tu restes sur le bas côté. Tu es fatiguée d’attendre ?
Je suis là. J’entre. Regardez donc ce corps, l’embrasure de mes peaux. Mon corps étale comme il vous transporte. Venez-y blottir vos songes. Je proclame, vous proclame que je vous manque.
Contemplez donc ce que je vous tends.
Empruntez mes collines sinueuses, mes vallées de larmes. Ne craignez rien de mon genre d’à côté. Ma voix s’envole et vous calme, ma voix vous charme déjà. Vous restez donc de marbre ?
Je vous vois cheminer en une ronde sombre, belle, canaille. Peuple hautain, comme je vous admire et vous envie. Mais ne restez pas ainsi, vous m’accaparez./

Est-ce que je sais à quoi je pense ? à quoi penser ? que penser ?
Mes mots sont pleins de terre, de relents, d’odeurs.
La pisse s’accumule, la terre crasseuse, furieux mélange, grumeaux, bois, boue, fange./

Tu viens. Je te vois. Mes yeux glissent sur ton corps. Tu t’échappes, et me reprends. J’ignore, ne sais pas, attends, le cœur battant.
La jouissance d’être vu/e/s, cette pulsion d’être vu/e/s qui me comble les cœurs.
Mon corps qui rentre dans ton œil, dans ton âme, ta peau. Ton œil qui rentre dans mon corps, mon âme, ma peau.
Tout glisse. Les cœurs palpitent. Nous sommes vus.
Pas de répit, tout se transforme. Un œil en une peau, une peau en un cœur, un cœur en une âme.
Les âmes naviguent, les sueurs, de chacun à chacun, tout dérive. Tu regardes quelqu’une qui regarde quelqu’un qui regarde quelqu’un./

Les ballets sont ouverts, la parade a commencé, le grand orchestre emplit de sa mesure la promesse des jours. Tous les jeux sont ouverts.

 

Kantuta Quirós, juin 2005.


 

Ce texte est extrait de la voix off du film L’amour, de leur côté.

L’amour de leur côté, un film de Kantuta Quirós (18’, 2005, S8 / vidéo numérique)

Le film met en présence dans les jardins labyrinthiques du Carrousel du Louvre, mythique lieu de drague gay, le peuple des garçons et une jeune fille…
Les garçons attendent dans les dédales, exposant leur corps en offrandes pour mieux se retirer à la lisière - là où le classicisme grand style du Louvre se déglingue en terrain vague, en chantiers…
Une danseuse fureteuse vient se perdre dans les méandres du jardin, happée par sa fascination pour le ballet serpentin des hommes du Louvre, chassés croisés d’évitement et de frôlement.
La pénétration impossible de la fille errante dans le monde autosuffisant des garçons n’en finit pas d’être troublée par sa déambulation rêveuse qui vient agacer les désirs des hommes.
Par ses trajectoires qui mêlent danse et réel, fantasme et logorrhée, la jeune fille fait incursion dans le territoire de l’autre, et vient couturer le pli entre les genres, abolir l’impartageable et univoque élection des objets de désir. Par son annexion fantasmatique du pays des hommes, la séparation, l’impossible union sont mises en doute. La possibilité de l’amour s’arrache à l’improbable…

Danse, déambulation : Violeta Salvatierra
Garçons : Julien Bancilhon, Eric Gomez, Francesco Romanello, Kamal Hachkar, Jean François Passé, Karim Benbouchaib 
Chant : John Sawaya
Texte et voix : Kantuta Quirós
Image, montage, mixage et son : Kantuta Quirós & Aliocha Imhoff 
Prise de son : Thaïs Bernard, Carine Le Bihan

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