L’offrande fugitive

Sur “Ofrenda”, de Claudio Caldini (Argentine, 1978), par Gabriela Trujillo

Cueille cette frêle fleur, prends-la vite ! de crainte qu’elle ne se fane et ne s’effeuille dans la poussière.
(…) Je crains que le jour ne s’achève avant que je ne m’en doute, et le temps de l’offertoire ne soit passé.

Rabindranath Tagore, L’Offrande lyrique

A) Petites marguerites

Voici une offrande délicate, dépouillée, évanescente. Dédiée à personne. C’est une présentation, au sens mystique : le motif, le stade premier de l’image, c’est la Nature dans son expression la plus simple et la plus souriante - une fleur.

Dans Ofrenda (1978) de l’artiste argentin Claudio Caldini, le contraste est fascinant, hypnotisant, entre l’intensité du rythme et la fragilité apparente du motif. C’est que ce dernier est transi de temps, de mélodie.
Ofrenda consiste en un fondu au noir prolongé, amené naturellement par le déclin de la lumière solaire en une même unité de temps : l’ouverture du diaphragme a toujours été la même, et c’est le changement de cadrage (image par image) qui détermine le rythme fiévreux de ces quelques séquences.
Si c’est l’arrivée de la nuit qui détermine l’épuisement du mo- tif, la vision de la fin, ces pétales brûlés de lumière, sont ceux des limbes : ils sont visibles en raison des « seuils d’exposi- tion » (1), comme le dit l’artiste.
Le motif s’écoule, s’éreinte progressivement. Non pas qu’il s’an- nule : l’obscurité finit par l’engloutir, mais il peut ressurgir vers la fin, ardemment.

B) La passerelle

La nature, l’immanence est ici l’énigme primordiale. L’absence d’autre référent semble achever la construction symbolique du motif de la marguerite, sa trajectoire lumineuse.
Cette énigme fixe ainsi les règles d’un jeu poétique très simple, et cependant essentiel pour le cinéaste : il s’agit de notre participation à une dynamique cosmique. Cette dynamique visible grâce à l’évolution de la lumière, sur le symbole de la fragilité et de la résurgence de la nature : la fleur.

Mais l’abstraction donne ici comme une passerelle d’empathie, à travers laquelle surgit le geste du cinéaste : le don.

C) Le geste de l’offrande

Etant tout d’abord une offrande visuelle, le film invite à la réflexion.
On pourrait y déceler une offrande florale, funèbre, aux morts de la dictature argentine. Il ne faut pas oublier que l’année 1978 fut l’une des plus sanglantes du régime militaire.
Mais on devine surtout un chant à la vie (comme les films de Narcisa Hirsch, argentine elle aussi) : une véritable célébration à tout ce que la vie a d’incertain, d’évanescent, de fugitif.

Voici un don, dans le sens le plus noble. L’épuisement du motif peut-être perçu comme une destruction, si on lui prête toute la dimension rituelle de l’offrande – lyrique, mystique, comme chez le poète. Voici une invitation à la contemplation, au ravissement, au silence. Et pour cause : à certaines destructions rituelles, on ne connaît pas de réponses (2).

 

Gabriela Trujillo

Images reproduites avec l’aimable autorisation de Claudio Caldini

Notes

(1) Informations fournies par l’auteur et consultées sur le passionnant blog de Pablo Marín, http://laregioncentral.blogspot.com/

(2) Georges Bataille, « La Part de l’utile », in Œvres Complètes t. 7, Paris, Gallimard, 1976, p. 203

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