La voracité du capitalisme en voie de mondialisation est sans fin : ainsi apprend-t-on que tout récemment, certain des pays «nouveaux riches» (Chine, Corée…) achètent à des pays les plus pauvres de la planète (Cambodge , Madagascar…) des terres agricoles, spoliant ainsi de nombreux paysans qui sont contraints de s’exiler en ville, victimes d’autorités peu regardantes sur la misère de leur propre peuple. Pour l’enrichissement de quelques-uns, d’autres, plus nombreux, plus fragiles, plus démunis, subissent exil, misère, violence ; ceux-là ont peu de chance d’être entendus ou vus : leurs revendications sont inaudibles, leurs révoltes invisibles, etouffées par un pouvoir se targant cyniquement d’être «de gauche», socialiste ou communiste !
Face à cet état des choses, que peut le cinéma ? Probablement pas grand-chose : montrer quelques images, faire entendre quelques voix …
Dans Nous ne sommes pas au monde, j’ai choisi de faire entendre ma voix, spoliant un peu plus les pauvres paysans sans terre de leur identité, de leur existence, de leur réalité ; mais cette voix-écran est une voix irréelle, décalée par rapport aux images qui montre une réalité pragmatique et dure, elle sert de support à un chant, qui est en fait composé de l’hymne national khmer murmuré sans parole, et de deux extraits de poèmes chantés que nous apprenions au collège dans le Cambodge d’avant les Khmers rouges. Le premier de ces poèmes relate la mort d’un propriétaire terrien qui donne les dernières recommandations à ses enfants pour que ses terres puissent continuer à produire leurs fruits dans les meilleures conditions dans l’avenir, rupture et continuité que contredit la situation décrite à l’image (un groupe de paysans sans terre campant devant l’Assemblée Nationale khmère espérant vainement être entendu par les autorités publiques) qui ne montre qu’une rupture sans réparation possible. Le second poème relate les dernières recommandations d’une mère à sa fille qui va suivre son époux, et qui devra ainsi suivre toutes les règles de «bonne conduite à l’adresse de la jeune femme (pour se conformer à son époux)», règles parfaitement obsolètes et inappliquables pour la très jeune mendiante qui apparaît à l’image, probablement promise à un avenir beaucoup plus incertain et chaotique.
Cette voix, ma voix donc, je l’ai voulue fluctuante, fragile, dépendant de mon état de santé et de mes états d’âme au moment où le film est projeté : elle pourra donc être grave, aigüe, à peine audible, parfaitement aléatoire ; c’est une voix ayant vécu (je suis à présent un homme mûr) qui va chercher à l’aube de l’adolescence les sources de son chant, offrande dérisoire mais sincère en hommage à la résistance de ces femmes, ces hommes, enfants et vieillard si dignes dans leur misère …
Sothean Nhieim