Home Bittersweet Home

Focus #2

jeu. 13 octobre 202213.10.22
19H45—21H30
5 rue des Ecoles
75005 Paris
Réservation
Tarif
Unique : 5€
CARTES UGC/MK2 ET CIP ACCEPTÉES

Présentée et programmée par Maxime Jean-Baptiste, en présence d’Annabelle Aventurin.

Le Home, ou encore, la maison, le chez-soi, le lieu de l’intime, le lieu d’un retour à soi, tout cela, est ici, avec ces films, teinté d’amertume, de vide et de deuil. Une sensation qui aussi se lie profondément à l’expérience afro-descendante.

Home, Sweet Home, comme un rappel de la douceur d’un logis que nous portons en nous, et que nous allons retrouver le soir, le calme revenant au sein de notre corps apaisé. Une expression anglaise réutilisée comme telle dans plusieurs langues, comme une prière intérieure, comme un désir qui détend mes jambes et mon crâne, la respiration retrouvée. Il y a quelque chose de sucré aussi, de sweet dans l’air.

Cette séance s’immisce dans l’intimité du chez-soi des réalisateur.ice.s présenté.e.s, mais ces voyages sensoriels, ne sont pas sweets et heureux. Ils nous laissent bien plus qu’avec de l’amertume, du bittersweet. Dernière expression qui est le titre éponyme du court métrage de Sohrab Hura, Bittersweet (Principal Prize à Oberhausen Short Film Festival, 2020), qui ouvre la séance.

 

Nous rentrons dans la maison familiale du réalisateur, à travers un défilement de photographies argentiques, en couleur ou noir et blanc, et l’on rencontre deux personnages : sa mère, récemment diagnostiquée d’une paranoïa schizophrénique, et son chien, dont l’état se détruira progressivement au fil du film. Ces deux êtres cohabitent, à un tel point qu’ils semblent être un même corps, co-dépendants. Le réalisateur, par son regard plein d’amour, s’immisce au sein de cette relation, et fixe certains moments par son appareil photographique. Le film génère une tension chez nous, nous prenons peur de la perte prochaine de ces présences vivantes. À la fin, nous quittons ces images avec tristesse, avec désarroi, tout en ayant vécu des impressions de vies profondes, dures, violentes et belles.

 

Cette sensation de mélancolie nous prend aussi avec le film I ran from it and was still in it (Golden Pardino à Locarno, 2020), de Darol Olu Kae, où le réalisateur évoque une double perte : celle de son père ainsi que de la garde de ses enfants. À travers un remontage de home movies du réalisateur et d’images empruntées sur YouTube et les réseaux sociaux, l’auteur nous livre un film profond sur la perte des siens. Il nous met aussi face à des hommes noirs, qui pleurent, comme lui a pu pleurer, et qui se lâchent, brisent leurs carapaces que leur a imposées une société blanche américaine qui ne souhaite voir ces corps seulement comme des présences serviles silencieuses, ou comme des cadavres. Ces hommes noirs nous font face, et « entre le Néant et l’Infini » de leur situation d’oppression, ils se mirent à pleurer, pour reprendre les mots de Frantz Fanon. L’amertume, lorsqu’elle sort des corps, c’est aussi peut-être  l’amorce  d’une forme de résistance et de libération.

 

Fouyé zetwal (Third Horizon Film Festival, 2021) de Wally Fall, c’est un cri, c’est un déchirement. Le retour de cette femme à son pays de la Guadeloupe, paysage vide et fantomatique, est une danse, lancinante, qui avance et recule, se retrouve bloquée dans un temps inconnu, tout en voulant en sortir. Le noir et blanc de l’image accentue la spectralité de cette île dont la terre fut ravagée, attaquée, vidée par le pays bleu-blanc-rouge. Fall évoque tant de violences et d’histoires, et aussi celle récente, du chlordécone, pesticide utilisé à partir de 1972 jusqu’en 1993 dans les Antilles Françaises pour le commerce notamment de la banane, et qui causa et cause et causera, une vague de cancers de la prostate et une destruction des sols. Le retour au Home pour la protagoniste, ici, casse le moral, casse les jambes, kassé kô, mais encore une fois, elle avance, elle nous regarde et nous parle, en créole guadeloupéen. Un film d’ailleurs où cette langue prend sa pleine mesure, laissant une narration filer pour mieux la quitter et la fuir, cette histoire ne se racontant pas de manière claire et didactique, mais une histoire qui se raconte par le corps et ses mouvements d’allers et retours. Une langue du déplacement, de l’arrachement et de la résistance.

 

Elzéa Foule Aventurin, philosophe et écrivaine guadeloupéenne, nous dit dans le film Le Roi n’est pas mon cousin (première au Cinéma du Réel, 2022), « qu’ils nous ont foutu dans la tête que nous n’étions rien, et nous gardons ça », pour parler du peuple guadeloupéen. Une pensée amère et dure, mais exprimée, partagée, transmise. Cette phrase, elle le dira à sa petite fille, Annabelle Aventurin, réalisatrice de ce film-portrait d’Elzéa, touchant et profond, qui clôture la séance. Nous sommes dans la maison d’Elzéa, et nous allons passer un long moment avec elle et Annabelle qui filme. Le temps ici est multiple. Il pourrait s’agir d’une journée comme de plusieurs mois. Et Elzéa raconte toute sa vie et ses réflexions sur le monde qui l’entoure, tout en ajoutant des pics et de l’humour sur certains personnages qu’elles convoquent dans ses histoires, tout en réveillant certaines tensions familiales. Elle évoque son parcours entre la Guadeloupe et le Sénégal, la difficile relation avec son fils, le père de la réalisatrice, et son livre, Karukera ensoleillée, Guadeloupe Échouée (1980, Nouvelles éditions africaines), essai théorique et poétique traitant à la fois de la situation historique et sociale de l’île, ainsi qu’autobiographique, évoquant le quotidien de la mère d’Elzéa. Un film qui s’imprègne d’un Home, s’immerge, voyage dans les couches temporelles d’un même lieu, jusqu’à créer des ellipses visuelles et sonores inattendues, entre réel frontal et rêve éveillé.

 

On peut sortir de la salle noire et chaude, dans le froid du dehors, après ces films sensoriels présentés, mais reste en nous l’amer. Ces films parlent de cette sensation, propre à l’expérience d’un impossible retour à son chez-soi. Il faut peut-être le quitter, pour mieux le voir. Le Home est peut-être aussi dans nos crânes, dans des images, dans des home movies, dans des paroles, et c’est en les rejouant, les replayant, que l’on goûte enfin à cette amertume, qu’on l’accueille, qu’on l’exprime pour mieux la transformer, comme un élément propre à une certaine expérience noire.

 

Accueillir l’amer et les blessures de nos peaux, malgré la perte de notre enfance.

 

Maxime Jean-Baptiste

Chargement