C’est l’heure de dîner près de Boston, USA ; ici, à Paris, il est 1h du matin, nous préparons nos repas, chacun de notre côté de l’Atlantique! Je pose le combiné, le haut parleur résonne à travers ma pièce - mélange de la voix énergique et accueillante de Robert Todd avec le fond sonore des bruits de nos cuisines respectives.
À quoi pense-t-il quand il fait du cinéma, est-ce pareil que faire de la cuisine ? Robert Todd rit, répond qu’il aime cette comparaison, puis va chercher les réflexions au fond de lui-même. Émotion et vigueur dans sa voix, je devine la passion et l’engagement avec lesquels il réalise son geste cinématographique, son geste créatif… Ce soir j’écoute en direct l’origine de son geste.
Il décrit la façon dont il travail les « ingrédients » visuels, plastiques, et sonores de ses films, sa relation aux gens et aux choses, sa relation avec sa caméra Super 8, sa Bolex 16mm. Il raconte comment les éléments s’orchestrent sous le mouvement de son énergie, «c’est une pulsion qui en crée une autre, une alchimie qui nourrit le faiseur et l’objet fait ».
« Je réalise de deux manières différentes, parfois j’ai un sujet en tête, je veux rendre hommage ou faire un témoignage à quelqu’un ou à quelque chose, je filme les éléments de ce sujet, et la forme s’impose, comme ce fut le cas pour mon travail sur la peine de mort, In Loving Memory, un film sur ce que nous pensons des gens dans la vie et dans la mort. Ce film m’a aidé à libérer ce qui était noué à l’intérieur de mon esprit, de mon corps… faire du cinéma expérimental sur ces sujets génère plus de puissance qu’il n’y en a dans les documentaires sociologiques. Le cinéma expérimental est personnel, il a une profondeur, il est riche en émotions… »
Déjà, cet homme dans son magasin du quartier devient, dans Rising Tide, le lien entre le cinéma et le mouvement quotidien, la trajectoire parcourue pour finir sa course dans le film. Voici le commerce de cet attachement (partagé) au sujet!
Ce soir Rob m’invite à entrer dans son univers intime comme s’il m’invitait à table pour partager le repas qu’il prépare pour les siens. « My wife Tessa Day », compositeur, le cheval de Tessa. « Our two English Sheep puppy dogs », le jardin, « the piano » qu’il aime jouer… Il découvre le cinéma par la musique.
Pour l’aider avec l’exposition Primal Screen qu’il organise, Saul Levine, musicien (groove to groove) et cinéaste expérimental, le présente au monde du cinéma expérimental américain. Respect mutuel.
L’autre façon de travailler ses films est de « danser avec sa caméra » dans les bras, de la laisser faire ce qu’elle a envie de faire, de la suivre intuitivement et laisser les choses « se structurer au montage »… Stable, un clin d’œil par ce jeu de mots, (être stable/écurie) filmer les choses, là, présentes, pendant plusieurs années de suite à cet endroit familial. Lien affectif. Amasser et fixer dans la mémoire de la pellicule, regarder librement, mettre de côté, tenir en otage sans doute, afin de comprendre - « stable » - sa relation avec cet état ? Puis en faire un film le moment venu. Révélation du sens de l’acte au montage !
L’engagement, son engagement au cinéma, fait qu’il continue à produire sans cesse, dans une quête quotidienne, spirituelle… identitaire. Il a l’habileté brillante de sculpter les émotions à travers ses images, ses bandes son, rythmes, personnages, esprits sous-jacents, invisibles mais réels ; formes abstraites, figuratives, et puis infiniment précises. L’équilibre de funambule entre conscient et inconscient nous laisse, à nous spectateurs, toute la place pour nous y retrouver, pour ressentir avec l’auteur chaque pas du chemin parcouru lui permettant d’explorer le sens, qu’il révèle, qu’il nous dévoile !
Creation Mythe : pénétrer avec la caméra du cinéaste la forme la plus intime d’une fleur, inviter qui veut à venir goûter un moment de jouissance plastique et esthétique. Textures et couleurs sensuelles, épaisses et juteuses, accompagnées d’une bande son inquiétante dans les profonds méandres archétypaux du début de la vie… de la création de son film. La voix résonne dans le vide… « Faire du cinéma est un pouvoir alchimique, j’allume des petits feux tout au long de mon chemin, j’avance pas à pas, et en avan- çant j’éprouve le besoin d’explorer toujours plus loin, plus profondément, le spirituel, le mystère de la vie, jusqu’à sentir le sens bien soudé dans mon corps et mon esprit ».
Robert Todd aime communiquer et partager. Il n’a aucune peur de nous livrer sa quête. Par et avec le cinéma, traverser le temps et l’espace. Danser (comme il dit) et échanger des regards avec un cinéaste qui travaille avec ce que la vie lui propose. Créer un lien entre l’intime et le reste du monde. Sonder les mystères de l’invisible et du visible. Éclater les frontières. Certitude du pouvoir universel du cinéma !
Viviane Vagh