Trajectoire : Izabella Pruska-Oldenhof

par Emilie Padellec

Izabella.
Un prénom léger comme un élytre. Aérien.
Une bulle électrisée.

Enfant, elle courait – tête blonde parmi les blés. Là, devant nous, elle court, mais le rondement des vagues amplifie l’absence de rires. Ici et là, des cristaux de lumière. Des rayons verts. La petite veste bleue flotte, petit revenante, attirée comme un aimant vers l’amour inconditionnel de celui ou celle la tenant. Des feuilles lèchent la surface d’un lac, ça miroite ; était-ce, est-ce, l’automne ? Des feuilles rousses s’agitent dans l’air bleu, tandis que. Tandis que les chrysalides des lépidoptères respirent en silence. L’image se souvient, trouée en son centre d’un médaillon – une greffe de mémoire comme cousue main à la toile de l’écran. Face à nous, une trouée solaire, et elle, face à eux, leur petit soleil. Et toujours l’enfant court, dépoussiérée de ses couleurs, mais toujours, toujours prête à se jeter dans nos bras. Puis vient la lueur d’une bougie, la multiplication des bougies. Ici et là, encore, des cristaux de lumière. Des éclats verts. Soudain, la vue d’un vitrail. Le cœur en étau, nous pourrions étouffer, pris d’un vertige face à cette valse de candélabres. Are we the creation of what we see ? L’air sépia d’un dehors anonyme nous ramène à la vie, les silhouettes urbaines glissant dans cet espace sans nom, les gestes au ralenti. Filmer vite, la ville, ça défile, les lignes électrifiées sans fin. Parasite, le bruit du trafic (des vagues?). Le rivage de l’enfance jamais très loin. Sa petite main s’agite, éternelle môme. Le papillon quant à lui, les ailes déployées, en a fini d’éclore.

Lumière. Les lettres-néons clignotent. Ça grésille, ça crépite. Des flashs bleus. Membranes et pattes velues. Des corps d’insectes se dessinent. Un crescendo de bruits et de fureur bleue-verte. Une petite mort, chorégraphie sauvage de corps affolés pris au piège. De l’animal à l’humain. Une surface pulpeuse. Les stries charnues d’une bouche ? Masculin, féminin, masculin, féminin ? Un nombril, le point de rupture. La rondeur d’un ventre. Masculin, féminin, masculin, féminin : les corps se frôlent et se froissent. Par intervalle, une drôle de farandole faite de cils noirs voile et dévoile la nudité des lutteurs. Masculin, féminin, masculin, féminin : les corps s’enlacent, les grains de peau, les pores – à la loupe – se confondent et les formes s’épousent alors qu’ailleurs, quelqu’un s’époumone.

Sa bouche à elle très proche, belle, entrouverte ; quelques syllabes silencieuses articulées. L’écho est-il bien fidèle ? C’est une montagne quelque part en Pologne.

Song of the firefly, Izabella Pruska-Oldenhof

Des fleurs frêles et folâtres là-haut sur les crêtes. La bouche répète les paroles apprises dans l’enfance. La terre natale ou le ventre des fleurs : l’enfant y est né.

Territoire en danger. Métrages trouvés, trésors de celluloïd à sauvegarder, triturer, magnifier. Regardez-la, la danseuse féline, Loie Fuller ! Elle s’épanouit dans ses voiles comme un ange, une méduse phosphorescente remontant des abysses.

Plus près de nous, une autre femme flotte. Que cherche-t-elle ? La surface ou le fond ? L’air ou la dernière gorgée de mer ? Pulsions/Pulsations. Son corps nu immergé se constelle à chaque instant de points de couleurs, happé par ce monde miroitant. Parfois des algues invisibles semblent troubler sa blondeur. Son corps serpentin danse, malgré tout, en paix. C’est peut-être son chant de sirène qui vient de réveiller la faune : poissons blancs, flamands roses et autres êtres ailés. Le calme et la beauté d’une plume rose échouée sur le lac. Et puis, ça recommence, le tournis des images et la voluptuosité sauvage de ces corps doux comme des pétales de fuchsias sous la rosée. Encore des écailles, des élytres. Un enchantement de délices terrestres. Un hommage. Le jardin d’Izabella.
 

Émilie Padellec

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