L’ontologie de ce que je me répète

par Raphaël Soatto

Je vois d’abord des sons. Je vois d’abord des images. Je vois d’abord de la lumière, des plages de couleurs. Je vois d’abord du mouvement. Si je les agence moi-même parfois, souvent je regarde ce qu’un autre a fait de ces éléments. Comment est-il possible de pouvoir dire ce que j’ai fait ou perçu si ce n’est parce que je me répète ?

J’arrive à reconnaître le film petit à petit, jamais d’emblée. Les choses se répètent et s’interpénètrent en mon corps de par ce que je vois et c’est ce qui constitue petit à petit le film devant moi, en moi. J’arrive à reconnaître un film en le distinguant petit à petit des autres, des autres agencements d’images, des autres mises en scène et petit à petit j’éprouve ce que j’ai déjà connu, je reconnais le film.

Je sais que pour en avoir déjà vu ou en avoir déjà fait, il me semble que c’est un film parce que certaines opérations se répètent en moi, physiques et mentales. Les sens eux-mêmes doivent se mobiliser pour identifier le film car si une oeuvre filmique reste unique, elle résonne toujours en son sein ou chez une autre. C’est ce qui fait que l’objet singulier aux échos multiples que peut être le film nécessite du spectateur une attention triple : son entendement qui pense le présent, sa mémoire qui se souvient du passé, et son imagination qui anticipe l’avenir.

Tout ce que je peux dire, c’est qu’en ce moment, je vois ou suis en train de faire ce film là, à ce moment précis là, et en ce qu’il se répète, il me renvoie face à l’énigme même du sentiment de mon existence, faite de résurgences et d’effacements. Quand Rosetta récupère ses bottes jours après jours ou quand les personnages de Martin Arnold ont du mal à s’extirper de leurs enchaînements impossibles, en cherchant à fixer le temps, en cherchant des points d’accroches le long de ce temps, ils nous rappellent que nous sommes, tout simplement, et le film devient le goût de l’être au travers de ses répétitions immédiates ou sous-tendues.

La répétition, l’insistance qui créent de l’objet cinématographique ne dégagent pas pour autant de sens mais dessinent plutôt la résolution flagrante à ce que le réel n’a pas de sens et nous invitent à comprendre les choses comme singulières, comme simplement existantes.

 

Raphaël Soatto

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