Histoires à faire
Je suis arrivé en 2013 au Collectif Jeune Cinéma, et très vite j’ai été surpris du peu de recherches autour de cette coop, compte tenu de l’importance, pourtant indéniable, de son rôle dans la constitution de l’expérimental en France depuis les années 1970. Notamment, les archives papier du CJC sont très peu étudiées, et évidemment pas triées, numérisées, classées (ou alors de façon grossière).
Ce n’est pas forcément le boulot des coopérateur.ice.s, qui ne souhaitent pas non plus travailler à la muséification de leur structure qui est très vivante. Aucun des membres n’est archiviste, et tous étaient et sont préoccupés par le fonctionnement au présent du CJC (distribution, programmation, comment faire pour). Il faut dire que la situation constamment précaire du CJC — années après années, alors que tout augmente, les subventions restent les mêmes, et les conditions pour les obtenir se complexifient, la pression aussi — grande mode — et puis surtout la fin des emplois aidés, forcément ça n’aide pas du tout ; alors que, finalement, on ne travaille jamais mieux sur le passé qu’en temps de répit.
Après la bataille ; sauf qu’on est toujours en plein dedans.
Il faut que l’on écrive ces histoires du cinéma, plusieurs car une seule ce n’est jamais assez et toujours moins bien. À plusieurs ; pas entre nous. Alors que des structures, vivantes, apportent des réponses à certaines problématiques très concrètes telles que : comment montrer un film, comment le faire vivre, comment en prendre soin, comment s’organiser ensemble pour faire tout cela ? Alors que ces structures font, l’Histoire (académique) n’y attache pas tellement d’importance — c’est tertiaire, ce n’est pas vraiment du cinéma — déjà que l’expérimental, c’est secondaire, alors l’histoire des structures qui contribuent à cette frange du cinéma, pourquoi en parlerait-on ?
Peu à peu, au bureau, on prend cinq minutes par ci par là lorsqu’on a un peu de temps, on range un document, on rencontre des anciens membres du CJC qui nous ramènent de vieux papiers, on les confie à un ou une volontaire en service civique qui aura un peu plus le temps de les scanner, patiemment, puis de les ranger, un peu. Le temps de les lire vient après. Petit à petit, l’archive s’organise, se constitue, sans encore de vision d’ensemble, car la vision de celles et ceux qui font partie de et qui au même moment historicisent est forcément un peu biaisée. Pas le temps de prendre tellement de recul ; on avance à l’instinct.
Ce n’est pas seulement pour le CJC que j’écris ces quelques lignes, il y a d’autres coops aussi, un peu toutes sans histoire aucune autrement que par le récit oral de celles et ceux qui les font vivre. Et puis, il y a des cinéastes sans coop, des festivals sans histoire, sans archives, des films disparus, des films retrouvés, des films qui puent le vinaigre, conserver oui mais pas tout, mais nous comment-peut-on-écrire-tout-cela, on ne prend même pas le temps de se poser, comment peut-on juger de la nécessité ou non de conserver, difficile d’accepter qu’on laisse périr des films sous prétexte qu’ils n’ont pas marqué l’histoire, peut-être la marqueront-ils 50 ans après, peut-être 100, il faut leur laisser la chance, au moins, celle de pouvoir un moment exister, il y a de toute façon une sélection naturelle, celle du temps, de la chimie, des labos en faillite, des cinéastes négligents, des films donc déjà disparus, de ceux qui existent encore et qui nous sont inconnus. Pour toutes ces petites raisons, recueillons les mémoires, soyons attentif.ve.s, aux aguets, aux histoires de nos structures : elles nous le rendront forcément.
Merci à toutes les personnes qui ont délicatement pris soin de tous les petits papiers du CJC, depuis Marcel Mazé qui a eu la bonne idée de les conserver, jusqu’à Elena Sarnin qui en a récemment numérisé et classé plus de la moitié.