Avant et après

par Laurent Mathieu

Pour évoquer la première édition du Festival des cinémas différents de Paris, j’aurais pu rouvrir les dossiers, me replonger dans les notes, les intentions et les catalogues. Mais il est probablement préférable de s’en remettre aux seuls souvenirs, à ce qui résiste au passage du temps. C’était il y a dix ans. Plus ou moins…

Du début des années 1990…

Je me souviens…
… de ces années passées à Paris VIII et à Paris, années d’avide découverte d’un cinéma dont je ne soupçonnais pas l’existence avant de le vivre de l’intérieur, petit provincial que j’étais, élevé aux curiosités fantastiques et horrifiques projetées tous les dimanches dans un petit cinéma situé aux confins de la Normandie et de la Picardie.
… d’une Université où le politique était soluble dans le cinématographique, et où l’excitation l’emportait sur la peur de l’inconnu.
… d’avoir vu, entendu et appris, puis d’avoir projeté, écrit et filmé.
… des premières rencontres et des premières actions.
… de certaines séances de cinéma expérimental que nous – le Collectif D’un cinéma l’autre – organisions depuis le début des années 1990, notamment le mémorable « Open Super 8mm » et les innombrables bobines à diffuser qui nous tombaient entre les mains et que nous découvrions en même temps que les spectateurs, médusés autant que nous.
… de Jean-Marc Manach, étudiant comme moi à Paris VIII, nous présentant Marcel Mazé, et de la soudaine évidence qu’il fallait réactiver le Collectif Jeune Cinéma.

Des années 1998-1999…

Je me souviens…
… d’un point de départ autant que d’un aboutissement.
… de trois temps très distincts concernant la mise en place du Festival : la recherche d’une philosophie et d’une éthique, la sélection des films et la mise en œuvre concrète du festival.

1.
… de discussions à la temporalité à géométrie variable, et de l’heure tardive qui n’a jamais réussi à enrayer les cercles vicieux.
… des débats pendant lesquels s’affrontaient les représentants de toutes les chapelles du cinéma différent.
… d’avoir épuisé des détails en disséquant chacune de leurs molécules, certaines grandes lignes ont été oubliées, et finalement, il fallait qu’elles le soient.
… de l’unité du collectif, générée par la capacité de chacun à résister à l’autre.
… du moment où il a fallu trouver un nom au futur festival, chacun défendant son idée comme si sa vie était en jeu.

2.
… d’avoir vu des films avec 5 autres programmateurs, et d’avoir redouté autant qu’attendu avec un plaisir pervers le moment de l’échange de points de vue.
… de l’impuissance de l’argument « J’aime – J’aime pas » dans les choix de programmation.
… de la quête permanente de l’argument imparable, argument qui ne reste évidemment imparable que jusqu’à ce qu’il soit remplacé par l’argument imparable du voisin.
… du paradoxe « ouverture d’esprit/radicalité ».

3.
… des premières pierres, les nôtres, celles montrées lors de la première séance consacrée aux films des sélectionneurs.
… d’avoir été ému par un film dont j’ai oublié le titre et le nom du réalisateur ou de la réalisatrice.
… qu’un DRH aurait été parfois utile !
… de l’indéfinissable euphorie qui nous réunissait tous.
… du hall d’entrée du cinéma La Clé plein à craquer avant, après et surtout pendant les projections.
… de la volonté ambitieuse et sincère de refaire le monde du cinéma au bar du cinéma.
… de la sensation qu’enfin, on l’avait fait.

Je me souviens…
… de l’instant et de l’action, et de n’en avoir perçu les implications que bien plus tard, en me rendant compte qu’il y a eu un avant et un après…

 

Laurent Mathieu

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