Le burlesque est un cinéma différent. Il emploie les outils de la fiction, mais son ambition n’est pas de façonner un monde diégétique étanche, à l’abri de toute interférence. Le rire permet les extravagances les plus gratuites, même celles qui finissent par miner la crédulité du spectateur. Ce slapstick autoréflexif, terrain d’une production massive de courts métrages, témoigne le plus souvent d’une indifférence exemplaire à l’égard du bon déroulement de l’intrigue. La logique du nonsense est la seule admise dans ces films qui ne sont parfois rien de plus qu’une suite de grimaces outrancières, de calembours abrutissants et de moustaches démesurées. La narration cède le pas au spectacle, à une performance comique qui transgresse sans cesse la barrière de l’écran pour s’adresser directement au spectateur dans la salle de cinéma.
Cette altérité du burlesque naît d’une tension irrésolue entre fiction et spectacle. Ces films restent attachés à l’héritage du cinéma des attractions (dont on a maintes fois souligné les liens avec les pratiques d’avant-garde) par une logique « de variétés » qui est faite de ruptures et de discontinuités. Si une certaine poétique moderniste du burlesque aborde le genre sous l’angle d’une pureté esthétique protégée par le silence, celui qui est défendu par cette programmation est vociférant et bâtard, incorrigiblement hanté par cette scène dont l’« art cinématographique » naissant devait à tout prix rompre les chaînes. Mais il ne s’agit nullement des bienséances du théâtre officiel. Pas de psychologie ni de réalisme dans ces salles de variétés, du music-hall au vaudeville américain, dont F.T. Marinetti loua « toute la gamme de la sottise, de l’imbécillité, de la balourdise et de l’absurdité, qui pousse insensiblement l’intelligence jusqu’au bord de la folie » (“Le Music-Hall”, manifeste futuriste de 1913).
Cette séance se veut comme une suite d’attractions qui brouille l’opposition entre scène et écran au profit d’un mode de représentation hybride, pour ne pas dire « expérimental ». La salle de cinéma et la salle de spectacle se superposent. Le regard caméra anéantit le fossé spatio-temporel qui sépare le performer du public, comme si ce désordre comique nous concernait directement. Certains de ces films (Sharps & Flats, The Beau Brummels) aspirent à une équivalence fantasmée entre scène et écran, entre numéro comique et filmique ; d’autres laissent la place à un public déchaîné qui usurpent le spectacle pour s’emparer de notre regard (Rosalie et Léontine vont au théâtre, That Ragtime Band) ; dans un dernier cas de figure, les comiques insistent sur la frontalité et l’adresse directe de manière parfaitement incongrue, un excès performatif qui contamine un discours filmique sombrant dans le délire (Les Incohérences de Boireau, The Fatal Glass of Beer, Grand Slam Opera). Au delà de leurs approches individuelles, le nonsense – visuel et verbal – sert dans ces films à sonder les limites de la représentation, sans autre raison que de faire rire.
— Noah Teichner