Les films expérimentaux ne sont pas drôles, et ceux qui le sont n’ont pas de sens… du moins, selon les clichés. La tendance anti-humour dans l’art a toujours été curieuse. Le travail qui n’est pas vu comme « sérieux » n’est souvent pas pris au sérieux, comme si un tel travail était intellectuellement, émotionnellement et conceptuellement moins signifiant. Et pourtant l’humour n’est pas seulement une émotion humaine cruciale et fortement sentie, il est également capable de créer des ponts entre des gens différents dans une expression d’engagement positif et attentionné.
L’une des qualités qui rend Play Time de Jacques Tati (1967) aussi signifiant et hilarant est qu’il fonctionne comme une sorte de projet d’individualité et de subjectivité, un microcosme présentant aussi bien ce qui nous diversifie que ce qui nous unit, qui nous est renvoyé en utilisant l’humour comme catalyseur. Tous ceux qui ont déjà vu ce film dans une salle de cinéma savent que tous les spectateurs ne rigolent pas aux mêmes gags. Le baromètre personnel de l’humour de chaque spectateur est déclenché de façons différentes, selon les individus ou groupes d’individus. Chacun devient conscient de sa participation au processus humoristique.
Ceci constituait l’une des sources d’inspiration pour mon programme, qui réunit un mélange d’œuvres contemporaines et des films historiques que j’ai eu l’honneur de restaurer à l’Academy Film Archive. L’humour me semble un représentant complexe d’une large conscience collective et individuelle. Les films ont été choisis afin d’atteindre une grande diversité de sensibilités, et d’activer les différents sens de l’humour des spectateurs. Il est souvent dit que l’un des sujets les plus controversés dans l’art est de savoir si quelque chose est, ou n’est pas, de l’art. Je suggère qu’il en est de même avec l’humour : parfois rien n’est aussi sérieux qu’une discussion visant à comprendre si quelque chose est drôle ou pas.
Le titre de ce programme est tiré d’une déclaration qui a été tour à tour attribuée à Chris Marker, Oscar Wilde et à Boris Vian, dont l’écriture (spécialement L’Écume des jours) paraît parfaitement en accord avec cette idée. Et je suis d’accord : l’humour est souvent une articulation nuancée et raffinée d’un désespoir ou d’une confusion émotionnelle ou existentielle sous-jacente, mais en même temps, il est aussi la demande de réaction ou de catharsis vis-à-vis de cela. Beaucoup de films dans ce programme ont été choisis pour ce que je ressens comme étant leur complexité émotionnelle, dont l’humour est une composante déterminante, fonctionnant souvent en tandem avec des thèmes plus sombres tels que l’anxiété, le deuil, la frustration et l’identité.
Les films de ce programme vont de l’animation grotesque à l’humour conceptuel, de la comédie performative au radicalisme punk, et ainsi de suite. En tant que conservateur de films et programmateur spécialisé dans les films d’artistes, il est toujours important pour moi de trouver et d’explorer les dialogues entre films contemporains et historiques. L’humour est un point de départ particulièrement riche pour explorer non seulement l’éventail d’expressions entre les travaux, mais aussi entre les époques. J’espère que ce programme peut atteindre ce but, en présentant non seulement une variété de sensibilités artistiques et en partageant quelques œuvres avec vous, mais aussi en vous faisant rire.
— Mark Toscano