Les sélections des Brigades S’M sont tissées de trésors en grande partie oubliés et en lien étroit avec l’enseignement du cinéma expérimental dispensé à l’UFR d’Arts Plastiques, Centre St Charles (Paris 1/Sorbonne) et l’esprit du Collectif Jeune Cinéma.
À St Charles, peu après 68, émergent les tempêtes d’un cinéma transgressif, foisonnant, autoproduit et conduites par son plus brillant théoricien, Dominique Noguez. J’ai la chance de plonger dans cet univers dès 1974 et d’y découvrir des œuvres d’une créativité inouïe. Ignorant que c’était si facile de prendre une caméra, je me lance puis propose mes films au Collectif Jeune Cinéma, première coop française à promouvoir cette aventure lors de ses projections ou en son Festival d’Hyères, section Cinéma Différent, pilotée par Marcel Mazé.
Dès 1985, j’enclenche à mon tour un enseignement aligné sur cette dynamique et fais découvrir à mes étudiant.e.s quelques uns des films-fétiches qui résonnent pour plusieurs générations tels Un chien Andalou, Le sang d’un poète, Meshes of the Afternoon, Un chant d’amour, Inauguration of the Pleasure Dome, Dog Star Man ou Walden. Grâce à des copies 16 mm, à quelques films en VHS puis plus tard à ceux de la collection Re:Voir créée par Pip Chodorov, le répertoire s’élargit et je perçois le même choc que j’ai eu en découvrant les cours de Noguez. Je leur montre également ceux dont je dispose en Super 8 et on plonge dans la pratique. Le Super 8 étant très facile d’accès à l’époque, je fais acheter du matériel par la fac (projecteurs, visionneuses, colleuses, stocks de pellicule) et les voilà parti.e.s, d’abord dans des exercices d’atelier puis dans des productions plus personnelles ou chacun.e va se confronter au médium et développer sa propre sensibilité.
Car il s’agit bien d’un médium d’exception. D’abord la maniabilité des petites caméras qui autorise une proximité, une intimité avec le sujet filmé et offre la possibilité de multiplier les points de vue sans avoir à déplacer matériel ou techniciens. Avec cette faculté, en jouant avec la distance focale, l’accéléré, le ralenti, le flou, le bougé, le tremblé, mais aussi la gestuelle en « action filming » (proche de l’Action Painting), de laisser parler la pulsion immédiate pour créer des formes et donner une transcription brute de l’expérience.
Puis son format, proche du carré, une surface/plan où il apparaît naturel de s’approcher de son sujet afin de le centrer. Ensuite cette émulsion particulière, dont le sublime K40, granulation repérable entre toutes et dont la meilleure définition s’obtient en filmant en plan serré. S’ajoutent les vibrations de la caméra tenue à la main, le jeu foutraque des flous, des surrex, des soussex, les interventions sur pellicule (grattage, décoloration, peinture, collage, etc.) et les scratchs des poussières, rayures ou collures. Enfin le tournage en tourné-monté ou les jeux infinis de l’animation image/image.
Les projections de fin d’année sont très stimulantes. Je décide d’en proposer des sélections à la Galerie Donguy où Michel Journiac présentait déjà les travaux de ses propres étudiant.e.s puis, à partir de 1998, au cinéma La Clef, pour la renaissance du CJC, ses programmations régulières et son tout nouveau Festival de Paris. C’était un joyeux bazar. Magnifique rendu des originaux, bande son sur CD piloté en direct et salle comble. Nombre de ces jeunes ciné-artistes déposent leurs films au CJC et s’impliquent alors dans la la vie de la coop (seconde période) : Sarah Darmon (la première coordinatrice enfin rémunérée) Orlan Roy, Marie Sochor, Angélica Cuevas Portilla, Louis Dupont, Isabelle Blanche, Gabrielle Reiner ou Damien Marguet. D’autres poursuivent brillamment sur les chemins de la création.
Aujourd’hui, j’ai souhaité remettre au jour certains de ces films (3 programmes en fichiers). Instinctifs, sauvages, minimaux ou luxuriants, bricolés ou plus élaborés, ce sont des joyaux que je trouve toujours aussi forts. Une belle occasion de revenir à l’un des ADN du CJC : la richesse insoupçonnée de la créativité.
— Stéphane Marti