L’histoire du Collectif Jeune Cinéma et du Festival des Cinémas Différents et Expérimentaux de Paris se confondent dans mon parcours. En 2005 lors d’une nouvelle organisation du CJC, je succède à Marcel Mazé à la présidence de l’association et participe aux différentes éditions du Festival.
Durant mes treize années de présidence, préférant le « nous » au « je », nous avons créé des moments d’échanges et de réflexion autour des pratiques et des modes de représentation du cinéma expérimental et différent. Nous devions notamment dialoguer avec des institutions auxquelles il fallait toujours réexpliquer l’histoire du cinéma expérimental d’année en année et mettre de côté les stéréotypes de l’expérimental, lors de tables rondes organisées lors de différentes éditions du festival [1}.
Toutes ces années, l’enjeu des programmations était de montrer un cinéma éclectique de grande amplitude, brisant les codes de la fiction, du documentaire ou de l’animation. Bousculer parfois le cinéma expérimental proche d’un cinéma underground ou structurel, et valoriser un cinéma différent où le propos et la forme jouent de pair.
L’acte de programmation est un geste de montage. C’est pourquoi j’ai toujours préféré enchainer les films sans éclairer la salle entre chacun d’entre eux. Entrer dans un couloir de cinéma en totale immersion, dans une plongée enivrante, en perte de repère. Une façon un peu irrespectueuse des œuvres elles-mêmes, où les génériques (quand ils existent) deviennent les séquences d’un seul et même film.
Cette programmation évoque certaines périodes qui jalonnent mes années au CJC et évidemment mes affinités aux œuvres montrées (pour leur force, fond, forme et engagement) autant qu’à leurs auteur.e.s.
Je n’ai pas travaillé avec Sarah Darmon, la première administratrice du CJC, mais avec son successeur Raphaël Sevet, et toutes celles et ceux, qui ont suivi : Violeta Salvatierra, Damien Marguet, Julia Gouin, Victor Gresard, Théo Deliyannis ; ainsi que les coordinatrices du festival : Claire Salvi, Olivia Cooper-Hadjian, Delphine Voiry Humbert, Danae Papaionnou, Angélica Cuevas Portilla, Gabrielle Reiner, Gloria Morano, Daphné Hérétakis. Tou·te·s ne sont pas cinéastes (ou pas encore, ou plus) comme Judit Naranjo Ribó dernièrement arrivée.
Ma première confrontation aux dossiers de subvention, aux comptes, et aux aménagements d’étagères a lieu avec Raphaël Sevet lorsque le local du CJC se trouvait rue Carpeaux. C’est aussi ma plongée dans les comités de visionnage des films entrant au catalogue, les réunions du pôle transmission (avec Claude Brunel, Frédérique Devaux, Louis Dupont et les fameuses rédactions de fiches pédagogiques - ou pas, si Pierre Merejkowsky était de passage), la neutralisation des genres à la venue de Laurence Chanfro, les programmations mensuelles du Jeudi, avec notamment Pip Chodorov qui aimait inviter ses amis américains, cinéastes argentiques, quand Gérard Cairaschi préférait montrer des travaux vidéos, parfois de ses étudiants, les comités de sélection du festival avec Bernard Cerf et toutes les équipes des différentes éditions (grands moments d’échanges, de rires, d’engueulades, dont certaines mémorables — mais comme on dit à qui se passe à Vegas…). Dès 2010 à l’initiative de Bernard, le festival inclut des programmes compétitifs et je me rappelle de nos désaccords tellement drôles avec Derek Woolfenden, notamment sur la représentation des femmes dans les films, les suggestions musicales de Fabien Rennet pour les ciné-concerts, les poétiques programmations d’Orlan Roy et l’ouverture au public des délibérations du jury, proposée par Frédéric Tachou. À l’époque, nous nous engagions à voir l’ensemble des 1500 films inscrits et Philippe Cote était notre éclaireur, écartant les films qui n’étaient définitivement pas pour nous.
M’engager à nouveau, en 2021, dans la sélection de la compétition, a été une belle occasion de partager le goût du récit et les films de Kung Fu avec Félix Fattal. Le réemploi d’images et de sons à l’œuvre dans les films de Félix, Derek et Stéphane (Gérard), chacun à leur manière, me rappelle alors l’édition de 2013 sur les Archives et Found Footage, menée collectivement avec l’immense apport de Julia Gouin.
Avec Daphné (Hérétakis), c’est la période faste du CJC avec trois salariés : Damien, Gloria et Daphné, les déménagements et les festivals aux Voûtes… sans compter sur l’essentielle présence de Victor Gresard.
Avec Stéphane Gérard, c’est What’s Your Flavor? que j’ai envie d’évoquer et la très belle édition de 2019 « Cinéastes, femmes, féministes, queer ! » dirigée ensemble avec Stéphane, Valentin Gleyze, Apolline/Lawrence Diaz et avec l’énorme investissement de Théo Deliyannis.
Je veux remercier ici tou.te.s les personnes citées dans ce texte, d’avoir été la force vive du CJC et d’avoir partagé avec moi une grande partie de ma vie et l’amour du cinéma différent.
— Laurence Rebouillon