Ce 50ème anniversaire permet de se (re)plonger dans l’éclectisme du Grec pour ranimer les films d’hier tout en parlant d’aujourd’hui. Défricher les raretés et les talents de demain. 50 ans de vivacité, d’impertinence et de promesses pour le cinéma.
Dans l’un des premiers films produits par le Grec, Un troisième d’Anne Thoraval, réalisé en 1970, il était question d’attraper l’émotion d’une actrice, Josée Destoop. Depuis, le Grec s’est évertué à capturer des mouvements et des secousses cinématographiques, toujours en veillant au caractère novateur des films et en provoquant d’ardentes émotions. Depuis 50 ans, le Grec met sur le devant de la scène de nombreuses et nombreux cinéastes, dont des femmes : Catherine Corsini, Claire Simon, Danielle Arbid, Delphine Gleize, Léa Mysius ou Katell Quillévéré.
Évidence de Caroline Champetier, réalisatrice qui éclaire adroitement les grands cinéastes (La bande des quatre de Jacques Rivette, J’entends plus la guitare de Philippe Garrel, Soigne ta droite de Jean-Luc Godard, Terre promise d’Amos Gitai ou encore Holy Motors de Leos Carax), réalise et met en lumière en plan séquence, dans un somptueux noir et blanc, une femme enceinte dans le rituel prosaïque du bain. Cette « ingénieuse de la photo » selon Agnès Varda, filme l’évidence du corps, des gestes et s’attarde sur les petits riens pour s’emparer d’un tout, comme dans la fausse trivialité de Jeanne Dielman, 23 quai du Commerce, 1080 Bruxelles de Chantal Akerman avec qui elle collabore également dans Toute une nuit.
D’un corps féminin, il en est aussi question dans Apparition et gloire de Sainte ORLAN, celui de l’artiste plasticienne qui se met joyeusement en scène à travers des poses artistiques dans une séance photo, non dénuée d’humour, et revêt sous ses plus beaux apparats, une performance réflexive sur la place du corps et des images dans la société.
Un corps provisoire de Djamila Daddi-Addoun, ce corps qui vient se nicher jusque dans le titre, est une proposition radicale de la chair lors d’un entraînement de boxe. Un entraînement aux allures d’abstraction, visions furtives de la peau dans l’obscurité, silhouette d’un corps féminin aux muscles tendus. Cet entraînement de boxe est un ballet incessant, un flux d’images fiévreux.
Les images justement, elles parcourent et innervent Sous le ciel lumineux de mon pays natal, de Franssou Prenant. Le grain du 16 mm, accompagné par diverses voix-off de femmes, revient sur la ville de Beyrouth à la fin du XXème siècle et ses paradoxes. « La vraie vie, c’est là » scande une voix, tandis que cette ville est également le théâtre d’une guerre civile. On suit alors, dans un récit flottant, l’évolution de la capitale (politique, sociale, architecturale) puisque si la guerre meurtrit concrètement les bâtiments, elle casse aussi les mémoires, démolit les points de repères. Filmer le territoire, c’est aussi une façon de se réapproprier l’espace.
Ce sont aussi les ombres animées d’une métropole, prises sur le vif et une voix-off féminine qui habillent Les algues dans tes cheveux, film à la mélancolie obstinée. Athènes, métaphore d’une femme, autre ville abîmée, non pas par des affrontements mais par une crise économique dévastatrice. Daphné Hérétakis explore les trottoirs, les rues et se focalise sur le poème de Jazra Khaleed comme un embrasement d’une douceur abrasive.
Ce programme du Grec, regardé par le prisme féminin, qu’il soit trivial, historique, ou profondément contemporain, est toujours une façon d’interroger et de décrypter le monde.
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William Le Personnic