Paroxysme du Super 8

Focus #4

sam. 5 octobre 201905.10.19
20H00—22H00
Cinéma l'Étoile
Tarif
unique : 3€

Programmé et présenté par Laurence Rebouillon (CJC), en partenariat avec L'Abominable et La Poudrière.

En présence de Catherine Bareau et Alice Heit

Les corps et les choses naissent à la lumière, dans une matière sans cesse en mouvement. L’intensité de l’argentique coule dans les veines. La séance est composée d’une performance de Catherine Bareau, au contact, dans la manipulation de ses projecteurs, qui nous plonge dans une expérience tactile et sensorielle, et d’un film de Alice Heit, Les Eaux Profondes, qui nous entraîne au cœur d’un groupe de femmes, aux corps magnifiés par le soleil, à l’écoute de leurs témoignages, échangeant, en toute sororité, sur le plaisir féminin, leurs sexualités, et leurs présences au monde.

Un film fille en roue libre à la vie silencieuse
Catherine Bareau
France
2019
Performance
10'
Les Eaux profondes
Alice Heit
France
2019
Numérique
53'30

Le cinéma recèle de fantastiques expériences lorsque l’on ose sortir des chantiers battus de la production classique de faire et de réaliser des films. Fraîchement sorti des eaux de sa conception, Les Eaux profondes est un documentaire expérimental, un essai et avant toute chose une œuvre de cinéma. Alice Heit, réalisatrice de ce moyen métrage, mène une patiente investigation sur un phénomène proprement féminin encore peu audible et que certains associent à une identité spécifique : la femme fontaine. Cette recherche la conduit à recueillir les témoignages de nombreuses femmes, qui deviennent alors les conteuses d’une histoire qui relie chacun de nous à la nuit des temps. Du singulier à l’universel, l’art du récit se tisse ici patiemment, comme les fils d’une longue tapisserie contenant un bout d’histoire de l’humanité. Et peu à peu nous découvrons le tissage qui prend forme sous nos yeux : une invitation à revisiter le plaisir féminin sous un nouvel angle.

L’aptitude à libérer des eaux au moment du plaisir sexuel n’est plus ici une rareté singulière mais une capacité que possède chaque corps de femme. On la retrouve de manière sous-jacente, dans la représentation des divinités, sources de fertilité dans les civilisations anciennes où le féminin était respecté et vénéré…

Mais le parcours est loin d’être sans difficultés, comme l’exprime bien en voix off une femme témoignant au micro d’Alice Heit, car chaque individu est relié à l’histoire transgénérationnelle d’une lignée de femmes violées, et aucune lignée n’est indemne de l’ordre patriarcal du monde dans lequel nous baignons. Cependant, chaque individu est également en mesure de guérir de ses blessures… et s’ouvre alors un chemin de réconciliation de la femme avec elle-même, corps et âme…

Les Eaux profondes d’Alice Heit est aussi une invitation concrète : celle faite aux femmes de connaître intimement leur corps pour mieux se reconnecter à lui, et par là même, à leur source intérieure.

Cette démarche d’« empowerment » au féminin, trouve aussi son reflet dans le choix fait par la cinéaste d’une réappropriation des moyens de production à tous les niveaux de la réalisation du film, tourné en Super 8, développé à la main, autofinancé (financement participatif)… tout en intégrant une dimension collective, invitant de nombreuses femmes à expérimenter, à s’exprimer, à trouver du plaisir à faire et à être, au sein de cet espace.

Le Super 8 permet de donner naissance à une image sur le support hypersensible de la pellicule, granuleuse, vibrante, se rapprochant de l’aspect tactile de la peau… La nudité des corps et encore moins leur diversité féminine n’ont plus rien de tabou. La cinéaste les filme avec complicité et sororité. Par petites touches, nous faisons l’expérience d’une sérénité intérieure, intime, au temps présent.

Alice Heit renoue ainsi avec toute une histoire de l’indépendance au cinéma qui a pris la forme de l’expérimental avec des personnalités comme celles de Germaine Dulac et Maya Deren, ou encore plus récemment Marie Losier. Elle explore toutes les dimensions que le cinéma artisanal lui laisse à portée de main pour créer en connexion étroite avec les éléments qu’elle convoque, comme les corps filmés, qui parlent d’eux-mêmes.

L’animation en stop motion dans Les Eaux profondes convoque, elle aussi, la joie de l’expérience des corps féminins en dehors des tabous puritains, pour révéler leur magie intérieure… Alice Heit fait revivre des déesses antiques après les avoir sculptées et nourries de ses réflexions. La bande-son leur insuffle la vie. Dès lors, l’association de ces représentations divines avec le corps des femmes contemporaines filmées en Super 8 réactualise la force intrinsèque et multiséculaire du féminin.

En 1866, Gustave Courbet peignait L’Origine du monde. En 2019, Alice Heit revisite le thème, avec une analyse inédite de la beauté du pouvoir féminin, d’offrir la vie tout autant que le plaisir de la vie, de la même manière que ce que représente l’eau, source de vie et de plaisir.

Cédric Lépine
(texte repris du blog de Cédric Lépine, accessible à cette adresse www.blogs.mediapart.fr/cedric-lepine /blog)

« un film fille en roue libre dont la vie silencieuse

un film sans titre, un film qui sort du projecteur un film sans âge un film nu qui va à son rythme. un film par la fenêtre un film qui passe et qui tombe un film à l’arrache à la rage.

un film au bord d’un vide qui reprend son souffle un film secret qui s’écrase un film qui se met là.

un film qui parle pas qui bavarde pas qui s’étouffe pas un film sous le ciel un film en papier un film picotis un film qui trace un film qui gratte un film pattes de mouche et taches de terre un film aux herbes
qui tremblent.

un film qui se débrouille un film qui s’approche et s’éloigne un film oiseaux un film qui glisse des paupières un film qui reste là.

un film au bout du tunnel un film enveloppe qui tourne autour d’un film au bord du tableau.
un film qui attrape le regard sans bouger un film qui reste au bord et qui borde.
un film en haut en face en force fragile un film qui s’ourle et qui se roule sans effort.
un film qui se bat dans la lumière un film qui naufrage qui tombe qui sombre qui ne s’aligne pas mais un

film qui allonge dans son sillon un petit buisson au vent un petit frisson qui saute et tressaille au vent. un film qui s’ouvre recto verso un film au carré qui craque.

Il existe un moment où tu penses aux petites images qui se baladent sans tristesse. Il existe un moment où tu es, les images autour, en train de penser que les choses ont un sens, et tu te promènes. Christophe Tarkos
un film fille en roue libre dont la vie silencieuse est politique.

mode d’emploi / mode opératoire : remplacer film par fille, et vise et vise et versa. »

Catherine Bareau

L’Abominable est un laboratoire cinématographique partagé. Depuis 1996, il met à disposition de cinéastes et de plasticiens les outils qui permettent de travailler les supports du cinéma argentique : Super 8, 16 mm et 35 mm. Le lieu fonctionne comme un atelier collectif où les machines qui servent à la fabrication des films sont mutualisées : un cinéaste peut y développer ses originaux négatifs ou inversibles, réaliser des trucages et des changements de format, faire du montage, travailler le son ou tirer des copies.

La Poudrière est un désir de création en collectif. C’est un groupe de femmes féministes cinéastes de L’Etna, atelier indépendant de pratiques cinématographiques expérimentales, situé à Montreuil (93). La Poudrière, groupe en construction permanente, non-hiérarchique et ouvert, est un espace de création, de réflexion et d’apprentissage où s’expérimente une solidarité politique.

Chargement