«Il y a plus inconnu que le soldat inconnu — sa femme 1— »
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Slogan tiré du film Debout ! Une histoire du mouvement de libération des femmes : 1970-1980, de Carole Rousopoulos
À ma mère,
Pour elle qui nous a fait toute seule, ma sœur et moi…
Comme s’il fallait encore prouver que des femmes réalisatrices, non seulement existaient sans être des prête-noms, mais aussi qu’elles avaient du talent !? Une séance s’imposait donc au Kino Club pour vous proposer un panorama historique et un florilège esthétique explosif afin d’asseoir la richesse internationale du cinéma féminin et/ou féministe aussi bien dans la série B que le cinéma d’auteur ou expérimental ! Des extraits de longs et des courts-métrages tenteront de décliner (comme si c’était possible…) certains axes récurrents : la prise en charge de leur propre désir (trop longtemps occulté), des inversions sexuelles subversives et ironiques (du personnage au genre cinématographique le contenant), des revendications politiques avant-gardistes, menées en faveur des minorités aussi bien ethniques que sexuelles, des marginaux et une audace formelle particulièrement sensible bien souvent conviée.
« Les hommes devront apprendre que, dans la hiérarchie d’oppressions créée par le capitalisme, leur sexisme et leur domination sont une autre arme dans les mains de la classe au pouvoir pour s’y maintenir. Le travailleur exploité, confronté à la condition encore pire de sa femme dépendante, ne peut être complaisant vis-à-vis de cela — il doit apprendre à voir la source du pouvoir oppressif qui les a dégradés tous deux. » (Evelyn Reed, « Les femmes : caste, classe ou sexe opprimé ? », article paru en 1971)
La femme, dit-on, vient de l’homme (divinisé et despotique de surcroît) ; de la côte d’Adam, de la tête de Zeus, des mains de Pygmalion ou de celles du Dr. Frankenstein, peut-être pour mieux nous faire oublier que c’est le ventre de la femme qui nous crée, nous façonne, nous polit, sculpte et enfante…
« Je te faisais une planète aqueuse comme mon ventre. » (Emma Santos, La malcastrée)
Si les femmes ont (peut-être) une sensibilité plus accrue et nuancée dans ce qui relève du harcèlement physique et moral par exemple, c’est sans doute qu’elles sont moins vulnérables au fantasme masculin hégémonique, très loin, quant à lui, de toute réalité aussi bien psychologique qu’affective. Petit inventaire : le viol dans Outrage (Ida Lupino, 1950), le massacre d’une famille dans Sorority House Massacre (Carol Frank, 1986), la légitime défense meurtrière dans Blue Steel (Kathryn Bigelow, 1989), le viol conjugal dans A Gun for Jennifer (Todd Morris et Deborah Twiss, 1997), la mort violente d’un frère dans Bury Me Angel (Barbara Peeters, 1972) et Scarlet Diva (Asia Argento, 2000), la mort violente d’un enfant pendant la guerre dans Travis (Kelly Reichardt, 2004), la violence quotidienne d’un père sur ses enfants dans Girlfight (Karyn Kusama, 2000), la mort d’un père de famille en pleine contrée sauvage de l’Ouest américain des pionniers dans The Frontier Experience (Barbara Loden, 1975)…
« La moralité… Le dernier bastion du lâche. » (Antonia Bird, Vorace)
Les réalisatrices américaines semblent également mieux dépeindre la vulnérabilité des hommes. Elles les libèrent de leur carcan viril stéréotypé (et fantasmé) pour leur préférer les blessures secrètes (Ralph Fiennes dans Strange Days, Jason Holliday dans Portrait of Jason de Shirley Clarke), leur crédulité auto-suffisante (John Boles dans Craig’s Wife de Dorothy Arzner) ou leur impuissance (Tim Daly dans Spellbinder de Janet Greek). Souvent, les hommes en ressortent plus concrets, plus proches de nous (Edmond O’Brien dans The Bigamist et The Hitch-hiker d’Ida Lupino, John Cassavetes et Peter Falk dans Mikey and Nicky, et Charles Grodin dans The Heartbreak Kid de Elaine May)… Et les belles vamps ne sont finalement pas que des cœurs à prendre (ou à délivrer), mais le produit vain des fantasmes masculins émasculés qui se retournent sans pitié contre leur créateur / oppresseur consciemment (The Velvet Vampire, Bury Me Angel, The Ladies Club, The Slumber Party Massacre, Blood Games, A Gun For Jennifer, Baise-moi) ou pas (Craig’s Wife).
Les femmes semblent (peut-être) plus à l’écoute des problématiques politiques contemporaines ou souvent plus impliquées : la question ouvrière (V et V et Être femmes de Cecilia Mangini), transgenre et du travestissement (Le secret du Chevalier d’Éon de Jacqueline Audry, Let me die a woman de Doris Wishman, I don’t know de Penelope Spheeris, Appelez-moi Madame de Françoise Romand, Just one of the guys de Lisa Gottlieb…), de la culture Punk (Suburbia de Penelope Spheeris, Valley Girls de Martha Coolidge), de la communauté noire américaine (Black Panthers d’Agnès Varda, I Am Somebody de Madeline Anderson, Attica de Cinda Firestone, More dangerous than a thousand rioters de Kelly Gallagher), homosexuelle (Portrait of Jason de Shirley Clarke), vietnamienne (Viet Flakes de Carolee Schneemann), les laissés pour compte et autres figures marginales (Wanda de Barbara Loden, Smithereens de Susan Seidelman), les prostituées (Les prostituées de Lyon parlent de Carole Roussopoulos, Working Girls de Lizzie Borden), l’avortement (Y’a qu’à pas baiser de Carole Roussopoulos, Histoires d’A de Charles Belmont et Marielle Issartel)…
« Beaucoup de réalisatrices veulent être réalisateurs finalement. Des réalisateurs comme les autres. Comme le regrette Maren Ade, elles espèrent qu’on ne va pas remarquer qu’elles sont des femmes… (…) Il ne faudrait pas que la pensée de la différence soit confisquée par le discours conservateur (qui remplace la différence par la hiérarchie) ni par le discours gender (qui remplace la différence par le cloisonnement) : penser la différence, c’est au contraire le début de la réflexion critique. » (Édito de Stéphane Delorme pour les Cahiers du cinéma n°681, septembre 2012)
Par les temps qui courent, on m’a dit qu’il faudrait même en passer par la discrimination positive… Avant d’y céder complètement, regardons les films qui parlent d’eux-mêmes et par eux et seulement eux, soulevons la problématique passionnante des femmes derrière la caméra et observons ce qu’elles filment différemment (ou pas) des hommes…
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Derek Woolfenden