Des corps comme des machines de sexe, contre des machines de guerre. Qui vibrent et grondent sous la terre, prêts à sauter, à faire exploser, et à s’éclater contre les murs. Autant que ce soit dur, que ce soit brut, cru, sans retenue. Qu’on y fasse jaillir tous les gestes défendus, d’autant de corps détenus. Entre ces murs qui limitent, qui délimitent, qui structurent, qui cartographient des territoires physiques comme psychiques : les territoires de nos corps dépossédés, démunis, rendus impuissants par un système d’intervention, d’exploitation et d’extraction. Ils s’érigent fièrement, comme des drapeaux énonçant leurs propres lois, pour dire tes droits. Ceux d’être ou ne pas être, dans tel endroit, ou de rester à celui-là. « Reste là, toujours à ta place, bien droit ».
Ceux-là même qui dictent ta voie, depuis leur voix. Autant de voix qui camouflent les corps, qui bouchent la gorge, qui étouffent les pores de ta peau. Des voix qui se projettent en images, fruit des fantasmes colonisant les esprits et les corps. Elles viennent inscrire autant d’identités inappropriées à nos subjectivités aliénées. Et pour se défendre contre toute résistance, se protéger de toute désobéissance, les récits visuels de nos libérations sexuelles ont dû être rapidement maitrisés.
La pornographie est devenue un outil politique dénigrant nos sensibilités individuelles, dictant les lois de nos désirs, contrôlant les images produites sur nos corps, sur nos sexes et nos sexualités.
Sales étaient ceux et celles/celleux qui y étaient figuré.e.s, car libéré.e.s, mais toujours plus méprisé.e.s et marginalisé.e.s. Nous avons dû répondre par la bonne tenue, par la retenue de nos désirs, et de nous dire, de nos plaisirs.
La pornographie est devenue alors obscène (ob/scene) : son lieu sera hors scène. La technologie photographique s’est ajoutée comme un nouveau moyen de capturer et s’emparer de nous, désormais objets qu’on sexualise, qu’on érotise. On les anime et les active sous le mouvement de la caméra. Un mouvement continu, un va-et-vient interminable. Une frénésie imperturbable comme un sexe qui parle.
Ailleurs, d’autres ont trouvé le moyen de capturer l’image et transformer le stigmate. Obscène est l’image. Obscène est ce qui est hors-scène et mis en scène. Obscène est le porno car il met à nu… Nus sont désormais tous ces regards qui ont bandé sur nos corps, sur nos sexes. Tous ces fantasmes projetés et ces voix qui ont trop parlé, qui se retrouvent affiché.e.s, exposé.e.s, pour enfin laisser place à nos propres subjectivités et nos désirs animés.
Nos corps, nos sexes, nos sexualités sont autant de fictions politiques à exposer, à exploser, autant de visions à affronter et confronter. Bousculer, perturber, éclater et surtout s’éclater.
Prendre du plaisir et jouir. Baiser par tous les trous et parler mal. Au risque d’être crade, sale… Étaler notre crasse.
Toujours impropres et malpropres, suintant.e.s et puant.e.s. Abjects sujets indécents contre ces dominant.e.s bien-pensant.e.s et bienséant.e.s.
Depuis nos corps en feu, brûlant sous le nitrate… les langues se délient, les gorges se déploient, les lèvres se mouillent et la parole se mue en crachats d’immondices qui éjectent les produits abjects des politiques…
Nous avons ravalé ces mots, pour soigner nos maux.
Alors nous choisirons de devenir… Putes, chiennes, gouines, pédé,queer, cuir, freak. Car « notre sexe est une arme chargée de mercure » et l’ennemi guette pour nous baiser.1
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Apolline/Lawrence Diaz