Dans son ouvrage Sorcières, la puissance invaincue des femmes (2018), Mona Chollet retrace une brève histoire des liens entre féminisme et sorcellerie. Elle voit à travers les persécutions dont ont fait l’objet les sorcières une typologie de caractères féminins opprimés qui reste pertinente à notre époque. Le livre souligne également la récupération de cette figure mythico-historique par les féministes des années 1970 (pensons au slogan « Tremblez, tremblez, les sorcières sont revenues » des militantes italiennes). C’est à ce courant qu’appartient le film de Danielle Jaeggi, Sorcières-camarades (1971). À la fois film militant et film-essai, il correspond au désir de chercher « collectivement et individuellement un langage féminin », de « changer qualitativement de mots et de pensées, pour amener un contenu vraiment révolutionnaire » en critiquant le regard patriarcal dont est imbu le cinema habituel : « Un film sur les femmes. Un film par des femmes. Un film pour les femmes. Avec une caméra d’homme. […] À la Femme en quête de son identité le miroir du spectacle renvoie une image morcelée ». La démystification de l’image audiovisuelle, la conjuration d’une emprise sexiste du regard, passe par de nouvelles formes d’ensorcellement.
Ne faisant appel pour sa part à aucun discours, le film de Gabrielle Reiner La Princesse est indisposée, elle ne reçoit personne (2007), participe lui aussi d’une certaine déconstruction du quotidien, qui serait l’un des postulats esthétiques du féminisme, en écho au célèbre slogan du Mouvement de Libération des Femmes, « Le privé est politique ». Il représente des scènes de la vie d’une femme dans son intimité (maquillage, bain, etc.) en leur restituant une dimension rituelle basculant parfois dans le fantastique.
Intéressée par l’anthropologie, Maya Deren appelle à une pratique rituelle du cinéma, qui dépasserait les divisions entre réalisme, romantisme et surréalisme en rendant l’art à une dimension collective dans son essai An Anagram of Ideas on Art Form and Film (1946). Cette même année elle réalise Ritual in Transfigured Time. La répétition de gestes ordinaires dans un temps figé leur confère une allure rituelle et mystérieuse, qui affleure sous l’apparence de quotidienneté et de convention des situations sociales. Calypso Debrot travaille sur une distorsion similaire du temps, ancrée pour sa part de façon explicite dans les pratiques magiques dans La Maison Goétie (2019). Enfin dans Shaman, a Tapestry for Sorcerers (1967) de Storm de Hirsch, dont le travail baigne presque toujours dans une culture ésoté- rique, la cinéaste fait de son corps, filmé nu à travers de nombreux filtres et prismes, le site d’un regard et d’une pratique magiques.
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Boris Monneau