Ce programme (Une École du corps ?! Hyères 1977) est composé de deux parties. La première a lieu le 10 octobre à 20h au Cinéma L’Archipel, la deuxième a lieu le 17 octobre à 18h30 au Grand Action, en clôture de notre festival.
L’École du corps est une invention dont l’auteur n’est autre que Dominique Noguez, professeur de cinéma à la fac de Saint- Charles entre 1974 et 1988. Date et le lieu de naissance de l’invention : l’hebdomadaire Politique Hebdo n°287 du 31 octobre au 6 novembre 1977. Dominique Noguez y signait un article intitulé Une école du corps ?, dans lequel il relatait son expérience de membre du jury au festival d’Hyères qui s’était tenu au printemps. Nous remarquerons la présence d’un point d’interrogation dans le titre, preuve du caractère spéculatif de sa réflexion, loin donc d’ambitions dogmatiques ou, pour le moins, taxinomiques.
Les films mettant en scène le corps, engageaient selon Noguez deux lignes de rupture avec le film structurel dominant alors le cinéma expérimental : tout d’abord, on recentrait l’enjeu cinématographique sur un objet figuratif, un sujet. Le signifié reprenait ainsi un droit de préséance sur le signifiant. Ensuite, ce sont les contours et les mouvements de ce sujet qui déterminaient l’organisation plastique du film et son rythme, réinstaurant par là dans l’énoncé l’axe d’un devenir, tout en conservant son caractère a-narratif.
Noguez repérait ces caractéristiques dans de nombreux films réalisés dans les ateliers de création cinématographique de Saint-Charles, ateliers sur lesquels deux grands artistes de l’Art corporel [1], Michel Journiac et Gina Panne, exerçaient une certaine influence. Beaucoup de ces films étaient projetés au ciné-club Saint-Charles, créé par Noguez en 1977. Certains se retrouvèrent au Festival du Jeune Cinéma d’Hyères cette même année et obtinrent des prix, comme L’Enfant qui a pissé des paillettes de Maria Klonaris et Katerina Thomadaki (prix spécial du jury) et La cité des neuf portes de Stéphane Marti qui partagea le Grand prix ex-æquo avec Lithophonie de Jean-Paul Dupuis. Compte-tenu des affinités qui liaient Noguez à Marcel Mazé, alors président du CJC, la plupart de ces jeunes cinéastes inscrivaient leurs films à la coopérative et participaient à ses activités. Saint-Charles fût donc le lieu où se marièrent pour un très improbable destin le concept d’École du corps et le CJC. J’écris « improbable » car depuis, « le corps » colle à la peau du CJC, apportant aussi bien des raisons d’union que de désunion. Au registre de l’union, citons les deux programmes de novembre 1978 du ciné-club Saint- Charles intitulés « Cinéma du corps », celui de décembre 1987, intitulé « Soirée des corps » présenté par André Almuró, enfin, le programme conçu par Violeta Salvatierra pour le festival du CJC en 2008 : « Le corps filmé ». Au registre de la désunion, les conflits liés à des questions d’ordre esthétique auxquelles se mêlaient celles de pouvoir, de reconnaissance ou de jalousie, provoquèrent des schismes, des départs et des inimitiés persistantes entre celles et ceux qui furent pourtant tou.te.s, à un moment, coopérateur.rice.s du CJC.
Pour les 50 ans, nous avons choisi deux films emblématiques de cette histoire et de cette époque, films qui marquèrent profondément l’édition de 1977 du festival d’Hyères : Lithophonie de Jean-Paul Dupuis et L’Enfant qui a pissé des paillettes de Maria Klonaris et Katerina Thomadaki. Ils seront présentés lors de deux événements distincts. Lithophonie, tourné en 16 mm au cours de l’été 1976 s’inscrit davantage dans la zone d’intersection entre art chorégraphique et cinéma. Il est constitué d’une série de motifs, tableaux ou scènes, comme on voudra, dans lesquels aucun art, celui de la danse ou du cinéma, prime sur l’autre. La réussite tient à ça, favorisée par une époque où l’on s’étendait, déclinait, explorait, confiant dans l’aptitude des spectateurs à synchroniser leurs propres rythmes cognitifs et psychiques à une proposition artistique innovante et libre où corps, espaces, imprégnés de lumière et partition électroacoustique, interagissent sans jamais faillir.
— Frédéric Tachou